Le lundi 9 mai 2022, le greffier en chef de la Cour constitutionnelle écrit un « communiqué de service », indiquant que, sur instruction du président de la République, un tirage au sort d’un membre par groupe de juges qui composent la Cour sera effectué le mardi 10 mai. À la suite de cette annonce, le tirage est effectué, avec seulement quatre des huit juges en fonction présents. Le président de la Cour, Dieudonné Kaluba, ainsi que le juge Évariste-Prince Funga sont tous les deux obligés de quitter leurs fonctions. Alors, que nous inspire cette procédure contestée ?
Bonjour ! Vous écoutez le 11e numéro de la saison 2 de Po na GEC, la capsule audio du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) et d’Ebuteli, son partenaire de recherche en RDC, qui tente d’éclairer les questions d’actualité congolaise. Je suis Joshua Walker, le directeur de programme du GEC. Nous sommes le vendredi 13 mai 2022.
Cette décision de passer au tirage au sort maintenant a surpris beaucoup d’observateurs de l’actualité congolaise. Et presqu’au moment que commence à circuler cette information, Jeune Afrique publie un article sur la volonté du président Félix Tshisekedi de remplacer Évariste-Prince Funga et Dieudonné Kaluba à la Cour constitutionnelle. Selon cet article, ce dernier, alors président de la Cour, serait devenu un juge trop indépendant et ne serait plus supporté par les proches du chef de l’État. On lui reprocherait notamment la décision de la Cour constitutionnelle de se déclarer incompétente pour juger l’ancien Premier Ministre Matata Ponyo dans l’affaire Bukanga Lonzo.
Étrangement, le résultat annoncé du tirage au sort confirme le verdict donné par Jeune Afrique avant le tirage au sort : Dieudonné Kaluba et Évariste-Prince Funga sont remplacés. Sur les réseaux sociaux, certains crient au trucage, d’autres saluent un processus correct de renouvellement des membres de la Cour.
Pour rappel, la Cour constitutionnelle, qui a commencé à fonctionner en 2015, est composée de neuf juges pour un mandat de neuf ans : trois sont nommés par le Parlement, trois par le président de la République et trois par le Conseil supérieur de la magistrature. L’article 158 de la Constitution prévoit le renouvellement de la Cour « par tiers tous les trois ans ». La loi organique portant organisation et fonctionnement de cette Cour précise, en son article 6, que « lors des deux premiers renouvellements, il est procédé au tirage au sort du membre sortant par groupe pour les membres initialement nommés ».
Autrement dit, l’opération de tirage au sort n’est valable que pour les deux premiers renouvellements. La suite devrait se faire automatiquement, au fur et à mesure que les juges arrivent fin mandat, à tour de rôle. Mais en 2018, trois ans après le début du fonctionnement de la Cour, ce tirage n’a pas eu lieu. En 2021 non plus. En 2020, cependant, la nomination des juges Dieudonné Kaluba, Alphonsine Kalume et Kamulete Badibanga avait fait l’objet de critiques importantes sur sa légalité : deux de leurs prédécesseurs, les juges Noël Kilomba et Jean Ubulu, avaient été nommés à d’autres fonctions en dépit de leur volonté, alors que le président de la Cour de l’époque, Benoît Lwamba a, lui, démissionné dans des conditions floues.
Alors, pourquoi le tirage au sort est-il organisé maintenant, en 2022, date qui ne correspond pas aux échéances de renouvellement prévus par les textes ? Silence total du côté de la communication de la présidence de la République sur la question. En plus, avec seulement quatre sur huit juges présents, la Cour ne semble pas avoir respecté l’article 90 de la loi organique, qui stipule que seuls deux membres peuvent être absents pour siéger valablement et délibérer. Tout cela fait redouter des objectifs politiques, comme en 2018 et en 2020. La Cour est une des institutions clés dans le processus électoral : elle valide les candidatures, connaît du contentieux des résultats et proclame les résultats définitifs des élections présidentielle et législatives.
En fait, pour des raisons politiques, depuis l’entrée en fonction de la Cour en 2015, le renouvellement légal par le tirage au sort n’a pas, avant cette semaine, été le mécanisme principal pour le remplacement des juges. Trois ont démissionné vraisemblablement sous pression politique, trois ont été nommés à d’autres fonctions pendant leur mandat et deux sont décédés. Le recours au tirage au sort aujourd’hui participe-t-il à une instrumentalisation des flous juridiques pour atteindre les mêmes objectifs politiques de contrôle de la Cour, comme dans le passé ?
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