Mais qui dirige la République démocratique du Congo ? C’est la question à 448 145 106 dollars américains ! Gare à ceux qui se précipiteront à y répondre sans tenir compte de tous les paramètres.
C’est une interrogation qui paraît simple mais dont la réponse est bien complexe. Pour nous en assurer, nous l’avons posée à plusieurs de nos interlocuteurs, acteurs politiques de tous bords, diplomates accrédités à Kinshasa, délégués de la société civile, officiers de l’armée. Alors, dites-nous, qui gère la RDC ? Personne n’a pu nous répondre avec certitude, en mettre sa main à couper.
Sur le papier, l’on a pourtant assisté à un transfert du pouvoir à la tête de l’État. Sous pression en interne et à l’extérieur, Joseph Kabila a accepté de se retirer, après deux années de prolongation de son dernier quinquennat. Une présidentielle a été organisée, sans lui, le 30 décembre 2018. Et Félix Tshisekedi, leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le principal et historique parti de l’opposition congolaise, a été proclamé vainqueur, malgré les nombreuses controverses ayant émaillé tout le processus électoral. Dans la foulée, le 24 janvier, le nouveau chef de l’État a été investi. Une première dans l’histoire politique du pays : un président de la République élu sortant passait ainsi le flambeau à son successeur lui aussi déclaré élu.
Trois mois plus tard, l’échiquier politique poursuit sa recomposition. Des antagonistes d’hier sont devenus des coalisés d’aujourd’hui. Illustration avec la formation d’une majorité parlementaire à l’Assemblée nationale entre les regroupements politiques appartenant au Front commun pour le Congo (FCC), plateforme électorale dont Joseph Kabila est l’autorité morale, et ceux qui composent le Cap pour le changement, alliance regroupant principalement de l’UDPS de Félix Tshisekedi et de l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe.
C’est d’ailleurs ce dernier qui dirige le cabinet du président de la République, son allié. Ensemble, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, se sont mis au travail pour mettre rapidement en œuvre un « programme d’urgence ». Coût estimé pour les 100 premiers jours : 304 097 742 dollars américains sur un montant total de 448 145 106 dollars américains pour le programme entier. Depuis, le chef de l’État va de chantier en chantier pour lancer des travaux ou inaugurer des infrastructures nouvellement construites. Le 24 avril, il était par exemple à Kisangani, dans le nord-est du pays, pour une cérémonie de coupure du ruban marquant l’ouverture à la circulation d’un pont construit sur la rive gauche du fleuve Congo.
Mais à Kinshasa, c’est un autre sujet qui préoccupent les esprits. Il tourne autour de la même question, celle qui revient désormais dans toutes les conversations : à quand la nomination d’un nouveau Premier ministre (et de son gouvernement) ? Et par ricochet qui gère, en attendant, le pays ? Le pouvoir est-il toujours à Kingakati (résidence privée de Kabila), dans la banlieue kinoise, ou a-t-il enfin emménagé à la Cité de l’OUA où Félix Tshisekedi a l’habitude de recevoir son prédécesseur ? Les deux hommes s’y sont revus une nouvelle fois le 22 avril.
De ce tableau rempli de questionnements, il en résulte deux constats ou éléments de réponse :
À Kabila et le FCC la politique et la sécurité
On le sait : Kabila, fort de l’écrasante majorité de son FCC à l’Assemblée générale, avait proposé Albert Yuma au poste de chef du nouveau gouvernement. On le sait aussi : Félix Tshisekedi refuse de nommer cet homme d’affaires katangais, patron des patrons congolais et président de la Gécamines ; le nouveau chef de l’État voudrait une « nouvelle tête ». Idem pour les membres du prochain gouvernement.
Brandissant le soutien populaire dont il bénéficierait et, surtout, le désamour du système antérieur par les Congolais, Félix Tshisekedi voudrait désormais obtenir de Joseph Kabila, son « partenaire de l’alternance », que des caciques qui incarnent l’ancien régime ne soient pas nommés ministres. Parviendra-t-il à ses fins ?
Pour beaucoup d’observateurs, le consensus apparent entre le FCC et le Cach autour de Jeanine Mabunda, ex-conseillère du président Kabila en charge de la lutte contre les violences sexuelles, comme candidate de la majorité pour le perchoir de l’Assemblée nationale constitue une indication. Jeanine Mabunda a tout de même été ministre du Portefeuille sous Kabila, entre 2007 et 2012, en charge notamment de la réforme des entreprises publiques pendant une période au cours de laquelle la Gécamines a vendu plusieurs de ses concessions les plus riches en dessous du prix du marché.
Une évidence cependant : le prochain gouvernement sera dominé par les partisans de l’ancien président. Kabila conserve ainsi la mainmise sur la politique. Tshisekedi, lui, s’octroie un droit de regard. Le scénario est encore plus frappant sur le terrain militaire. Tous les loyaux officiers de Kabila tiennent l’armée. Là encore, Tshisekedi se contentera des petits réglages et aménagements, sans réellement « déboulonner » – pour le paraphraser – l’appareil sécuritaire mis en place par l’ancien régime.
À Tshisekedi et Kamerhe les finances
Dans ce schéma contraignant, Félix Tshisekedi est parvenu tout de même à s’en sortir et à tirer quelque chose à son avantage : les finances. Le pays attend un nouveau Premier ministre – une fois le bureau définitif de l’Assemblée nationale installé, le gouvernement de Bruno Tshibala qui expédie les affaires courantes depuis trois mois déjà, présentera alors sa démission -, mais le président n’a pas attendu que l’ancienne équipe gouvernementale rende le tablier pour asseoir son autorité sur le Trésor public. Surtout en ce qui concerne le circuit de la dépense publique. « Il a tout verrouillé », encaisse un proche du Premier ministre sortant. « Nous avons très rapidement cédé le contrôle, si nous ne l’avons pas plutôt perdu », ajoute, amer, un membre de l’entourage de l’ancien président.
En clair, pour financer son « programme d’urgence », le nouveau président court-cuite les ministères du Budget et des Finances et traite directement avec la Banque centrale du Congo, indique à GEC une source au sein de la primature. D’autant que les 448 145 106 dollars américains de ce « programme d’urgence » n’émargent d’aucune ligne budgétaire. D’où vient alors cet argent ? Officiellement, une partie du financement – quelque 70 millions de dollars – proviendra du Fonds de promotion de l’industrie (FPI) et une autre – environ 27,3 millions – par le Fond national d’entretien routier (Foner).
Mais il y aurait également d’autres sources de financement : « Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe puisent dans les réserves de change constituées par Kabila », soutient notre source à la primature. Ces réserves étaient estimées à 1 016 000 000 dollars en 2018, selon la Banque centrale du Congo. Mais pour d’autres, le « programme d’urgence » serait plutôt financé par des avances consenties au Trésor public par des firmes minières présentes en RDC. Il est aussi possible que le nouveau pouvait ait désaffecté l’argent prévu dans le budget de 2019 pour financer les dépenses liées à ce programme.
En tout cas, dans les trois hypothèses, la chaîne des dépenses reste exceptionnelle et ne semble pas tout à fait surveillée. Le budget de l’État étant l’un des principaux outils de contrôle parlementaire, ces 448 millions de dollars posent ainsi des questions de constitutionnalité. Depuis Kisangani où il séjournait, Félix Tshisekedi a promis la nomination d’un Premier ministre « dans les prochains jours ».
La mise en place du nouveau gouvernement permettra de déterminer si le circuit de la dépense publique a été réellement « verrouillé » ou si c’était un déplacement du centre des décisions, en matières des finances publiques, en attendant une nouvelle équipe gouvernementale. Beaucoup espèrent aussi que cette désignation annoncée d’un chef de gouvernement apportera un peu plus de clarté dans la gestion en cours de la chose publique en RDC. Fruit, selon un proche de Kabila, d’une « alliance contre nature mais nécessaire pour la survie du pays ». Ou du système ?