L’UDPS se retrouve au pouvoir depuis fin janvier. Mais ce parti historique de l’opposition en République démocratique du Congo semble n’avoir pas été préparé pour diriger le pays. Et sa coalition avec le camp de l’ancien président Joseph Kabila ne lui facilite pas la tâche. Ce n’est pas tout.
Tout est allé vite, voire très vite, pour l’Union démocratique pour le progrès social (UDPS). Ces derniers mois, ce vieux parti historique de l’opposition congolaise, devenu depuis le 24 janvier la formation politique présidentielle, semble subir des événements, sans forcément être à l’initiative. C’est comme s’il ne s’attendait pas à se retrouver au pouvoir. En tout cas, pas de si tôt. Pourtant, il y est.
Félix Tshisekedi, 56 ans, qui a succédé à la tête du parti à son père, Étienne Tshisekedi, a été proclamé président de la République démocratique du Congo à l’issue d’un scrutin présidentiel à un tour très controversé. Là aussi, les choses semblent s’être décidées in extremis. D’autant que jusqu’à la veille de la publication des résultats provisoires de la présidentielle, plusieurs caciques du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, alors parti au pouvoir, misaient sur un « passage en force » d’Emmanuel Ramazani Shadary, dauphin du président sortant Joseph Kabila. Et les fuites des données de la Céni ainsi que les résultats compilés par les observateurs de l’Église catholique indiqueront plus tard que Félix Tshisekedi n’était pas le vrai vainqueur du scrutin.
Mais c’est bien Félix Tshisekedi qui a été officiellement élu avec quelque 38,57%. Conséquence d’un deal ou d’un « accord secret » qu’il aurait conclu avec son prédécesseur, selon des sources concordantes, notamment au sein de l’entourage de deux hommes. Mais, à ce jour, personne n’a été en mesure de produire le document. L’UDPS, elle, s’efforce de s’accommoder de la situation. Non sans difficultés. Car, hormis la présidence de la République, le parti est quasi inexistant dans les autres institutions de la République.
UDPS, parti présidentiel aux résultats « pas fameux »
Aux législatives où l’UDPS avait présenté 375 candidats dans 130 circonscriptions électorales, la formation politique n’a engrangé que 884 294 voix sur un total de 18 329 318 votants, comme le renseigne la « fiche de détermination du seuil de représentativité » dont le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) a pu se procurer une copie.
Ce score a toutefois permis au parti de prendre part à la répartition des sièges à l’Assemblée nationale, le seuil préalable ayant été atteint. Résultat des courses : quelque 32 sièges sur les 500 à pourvoir à la chambre basse du Parlement, soit 6,4 % seulement, selon les résultats provisoires publiés par la Ceni. L’UDPS constitue ainsi la troisième forme de la coalition au pouvoir.
Aussi faut-il rappeler que le parti ne gère qu’une province (Kasaï-Oriental) sur les 26 que comptent le pays. « Ça n’a pas été fameux », reconnaît un haut-responsable de l’UDPS. Et les contentieux électoraux qui ont suivi n’ont pas amélioré ces résultats. La faute entre autres au « défaut de qualité » pour ester en justice au nom du parti. Car, aux yeux de beaucoup de juristes, y compris deux juges de la Cour constitutionnelle consultés par le GEC, le parti de Félix Tshisekedi n’a aujourd’hui personne capable juridiquement de le représenter. Dans plusieurs recours introduits, ses candidats ont ainsi été déboutés.
Dissensions internes et difficultés de cohabitation
Avant d’être investi président de la République, Félix Tshisekedi avait pourtant pris le soin de donner un « mandat spécial » à Jean-Marc Kabund-a-Kabund pour exercer les fonctions du président à l’intérim. Mais cette procédure s’est avérée « extra-statutaire », ouvrant la voie à une crise interne entre les pro-Kabund et le courant de Jacquemain Shabani, président de la Commission permanente électorale du parti, et Victor Wakwenda Bukasa, président du bureau de la Convention démocratique de l’UDPS, qui en appelle au respect strict des dispositions des statuts du parti du 25 janvier 2013. Celles-ci prévoient la mise en place d’un « directoire composé du président en exercice de la Convention démocratique du parti, du secrétaire général du parti et du président de la Commission électorale permanente du parti » pour assumer l’intérim.
Une divergence de vues de la manière dont l’UDPS doit se gérera aujourd’hui pendant l’indisponibilité de son président, mais qui cache une querelle de positionnement des lieutenants restés fidèles au parti. Car ces dernières années, beaucoup de cadres de cette formation politique ont dû quitter le navire. C’est le cas entre autres d’Albert Moleka, ancien directeur de cabinet d’Étienne Tshisekedi, poussé à la porte, mais aussi de Samy Badibanga, “auto-exclu” après son choix de siéger à l’Assemblée nationale à l’issue des législatives de 2011, de Bruno Tshibala, Premier ministre sortant, qui a récemment créé une dissidence au sein du parti, …
Dès le 27 avril, la Convention démocratique du parti est passée à l’offensive pour tenter de faire respecter cette prescription de l’article 26 des statuts de l’UDPS. Elle a adopté la « résolution n°005/UDPS/CDP/2ème SES-EXTRA/2019 » qui « prend acte de la mise en disponibilité du président du parti [Félix Tshisekedi] » et, surtout, qui « met en place (…) le directoire composé du président de la Convention démocratie du parti, M. Wakwenda Bukasa Victor, du secrétaire général du parti, M. Kabund-a-Kabund Jean-Marc, et du président de la Commission électorale permanente du parti, M. Shabani Jacquemain, pour gérer le parti ».
La décision a été immédiatement transmise au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité pour information. « Après examen », Boniface Okenge Bonge, secrétaire général aux relations avec les partis politiques au sein dudit ministère, a estimé que la résolution prise par la Convention démocratique de l’UDPS était « conforme aux dispositions de l’article 17 de la loi n°04/002 du 15 mars 2004 portant organisation et fonctionnement des partis politiques ainsi qu’aux statuts du parti ». Ce que conteste Jean-Marc Kabund-a-Kabund, vice-président au bureau de l’Assemblée nationale, qui s’accroche à son poste de président intérimaire de l’UDPS.
Ce cafouillage à la tête de l’UDPS a obligé Félix Tshisekedi d’intervenir. Discrètement, le président de la République a demandé à Kitenge Yesu, son haut représentant et envoyé spécial, d’approcher les deux parties. Le 29 mai, à la veille du retour de la dépouille d’Étienne Tshisekedi à Kinshasa, Kitenge Yesu a rencontré Jacquemain Shabani pour le compte du courant légaliste de l’UDPS avant d’échanger le camp de Jean-Marc Kabund-a-Kabund après les funérailles du leader historique du parti. Depuis, « ça se calme : il n’y a plus d’invectives de part et d’autre », se réjouit le médiateur qui assure qu’une solution « satisfaisante pour les deux parties » va « bientôt » être trouvée.
En attendant, l’UDPS et ses alliés de Cap pour le changement (Cach) tentent de rééquilibrer les rapports de force avec le Front commun pour le Congo (FCC), plateforme de l’ancien président Joseph Kabila, qui dispose d’une écrasante majorité au sein de l’Assemblée nationale, du Sénat et des assemblées provinciales. L’une des stratégies concoctée se résumerait à la mobilisation de la « base » de l’UDPS. Autrement dit, pousser des militants de ce parti de masse dans la rue chaque fois qu’il faudra faire pression sur le coalisé FCC. Objectif : lui opposer une « majorité populaire » qui s’alimente du désamour des Congolais envers le système Kabila. La sortie annoncée pour fin juin-début juillet du nouveau gouvernement permettra non seulement de mesurer les marges de manœuvre arrachées par Félix Tshisekedi, mais aussi de jauger la réaction du parti. S’alignera-t-il derrière cette équipe gouvernementale de coalition ? Rien n’est moins sûr.