« On ne peut pas continuer à compter les morts comme si nous étions incapables de défendre nos compatriotes qui sont lâchement assassinés (…) Soit notre armée est incapable. Soit ces Codeco, conglomérat de malfaiteurs, bénéficient de complicités de nos officiers. C’est inacceptable ».
L’homme qui s’exprime ainsi n’est pas un militant antimilitariste. C’est le chef des armés lui-même, le président Félix Tshisekedi, qui a prononcé ces mots devant le groupement des écoles militaires, à Kinshasa, le 12 mai. Depuis plusieurs mois, et encore plus ces derniers jours, le chef de l’État congolais multiplie les saillies visant ses propres soldats. Pourquoi ?
Bonjour et bienvenue dans ce 12e épisode de la saison 2 de Po na GEC, la capsule audio qui tente d’éclairer l’actualité de la RDC. Je suis Pierre Boisselet, coordonnateur des recherches sur la violence d’Ebuteli, le partenaire du Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New-York. Nous sommes le vendredi 20 mai et cette semaine, à l’occasion de la journée de la révolution des FARDC, nous nous intéressons aux relations entre le président Tshisekedi et son armée.
Lorsqu’il a accédé à la présidence, en janvier 2019, il n’était pas forcément à l’aise en tant que chef des armées. Contrairement à son prédécesseur, Joseph Kabila, il n’a pas d’expérience militaire. Et tous les officiers étaient redevable à l’ancien chef de l’Etat pour leur nomination, ce qui exerçait une certaine pression sur lui.
Tshisekedi a d’abord tenté d’amadouer la troupe avec des mesures sociales. Et puis, il s’est fortement appuyé sur les FARDC dans sa politique contre l’insécurité à l’Est. Opération de grande envergure contre les ADFs, Zaruba ya Ituri contre les Codeco, état de siège… À chacune de ces annonces, de l’argent a été décaissé ; des postes, distribués.
Mais le ton a changé en juin 2021. En visite en Ituri, le président dénonce alors la « mafia » au sein de l’armée. Cette rhétorique, s’est accélérée ces derniers jours, d’abord devant la communauté congolaise d’Abidjan – Tshisekedi a dénoncé la « complicité » de la police et de l’armée, et puis, le 12 mai dernier, comme nous l’avons vu en préambule.
Le constat est plutôt vrai. De nombreux rapports ont, par le passé, pointé les alliances de FARDC avec des groupes armés, voire même, parfois, leur participation à des massacres.
Mais on peut s’interroger sur le changement de discours du président à cet égard. Pourquoi les accuser maintenant et surtout pourquoi le faire publiquement ?
Il y a sans doute, la volonté de rejeter sur autrui la responsabilité des échecs. Ce procédé, Tshisekedi l’a déjà été employé à plusieurs reprises, y compris contre son propre gouvernement, comme lors du discours sur l’état de la nation, en décembre 2021. Or, sur le terrain sécuritaire, l’échec est particulièrement patent : la violence n’a cessé d’augmenter depuis son arrivée au pouvoir, dépassant même les niveaux enregistrés à la fin de l’ère Kabila.
Mais ces discours peinent à occulter les responsabilités du président dans la situation actuelle. Il a certes procédé à des nominations, en juillet 2020, mais celles-ci n’ont pas changé fondamentalement le fonctionnement de l’armée. Cela fait plus d’un an qu’il dispose de son propre gouvernement, ce qui lui donne, au moins sur le plan légal, le pouvoir de remplacer des personnes au plus haut niveau de l’appareil militaire pour impulser le changement. Or plusieurs figures du “kabilisme” demeurent à ce jour en poste. C’est aussi le président Tshisekedi qui a décidé de l’état de siège, et il dispose du pouvoir de le lever à tout moment, ce qu’il n’a pas fait à ce jour, malgré les faiblesses identifiées de longue date.
Peut-être le président compte-t-il renouveler les effectifs au moyen de formations militaires dispensées notamment par des pays étrangers, comme la Belgique et la France avec qui de nouveaux accords ont été signés, pour renouveler les effectifs. Mais ce type de formation a déjà eu lieu par le passé, sans résoudre les problèmes structurels des FARDC. L’implémentation d’une stratégie de réforme profonde de l’armée congolaise reste plus que jamais nécessaire pour améliorer durablement la situation sécuritaire du pays.
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