This is a guest post in response to my recent blog titled « So how do we help the Congo? » It is co-authored by Pieter Vanholder, the national director of the Life and Peace Institute in the Congo, along with Deo Buuma, the executive secretary of Action pour la Paix et la Concorde (APC).
Le travail en RD Congo du Life & Peace Institute (LPI) et de ses partenaires, tels qu’Action pour la Paix et la Concorde (APC), a été assez largement commenté à l’occasion de la publication d’un Op-Ed de la politiste Séverine Autesserre paru dans le New York Times et l’International Herald Tribune datés du 22 juin – chronique ensuite discutée par Jason Stearns sur Congo Siasa. Le débat lancé par ces deux prises de parole est important. Nous souhaitons y contribuer à travers deux précisions : l’une porte sur notre diagnostic quant aux « sources » du conflit en RDC, l’autre porte plus particulièrement sur les tentatives de LPI et ses partenaires pour contourner certaines limites à notre travail mises en évidence par Jason Stearns dans sa réponse à Séverine Autesserre.
Actions locales mais diagnostic global
Premièrement, il nous paraît important de différencier le travail d’identification des « causes du conflit » et le niveau d’action choisi par les ONG de transformation de conflit. Nous pensons qu’il est possible d’« agir localement » avec les communautés des Nord et Sud-Kivu mais de « penser globalement », c’est-à-dire en ayant conscience qu’une partie du contexte socio-politique est déterminé à un niveau supérieur.
Séverine Autesserre a mis en avant les dimensions locales de l’action de LPI et APC (bien qu’il ne s’agisse pas du seul aspect de notre travail, cf. infra), en particulier l’enquête de terrain comprenant près de 800 entretiens dans 18 localités qui a permis de documenter la question des conflits fonciers et des dynamiques de cohabitation en territoire de Kalehe (le rapport issu de cette recherche-action-participative est disponible au téléchargement ici). LPI a également, avec d’autres ONG congolaises telles que le Réseau d’Innovation Organisationnelle (RIO) et Action pour le Développement et la Paix Endogène (Adepae), mené une recherche de quatre ans dans les territoires d’Uvira et Fizi, impliquant près de 600 acteurs et débouchant sur la mise en place de Cadres de Concertation Intercommunautaires et la signature d’accords entre éleveurs, agriculteurs et chefs coutumiers afin d’apaiser les tensions récurrentes entre communautés lors de la période de la transhumance (rapport disponible ici).
Une part très importante de notre travail se fait donc auprès d’éleveurs, agriculteurs, petits propriétaires terriens, paysans sans terres, femmes des zones rurales, chefs coutumiers ou encore réfugiés (en somme, le « track 3 » identifié par le théoricien John-Paul Lederach), sur des thématiques et dynamiques principalement locales. Mais travailler auprès de ces communautés ne signifie pas que nos organisations situent les causes profondes des conflits en RDC dans les seuls conflits fonciers ou de pouvoir coutumier.
Pour preuve, cette courte analyse de contexte extraite d’une communication présentée début avril dernier par LPI lors d’un panel à l’International Studies Association Annual Convention (version non définitive). La question foncière y est identifiée comme un facteur structurel parmi d’autres :
« The main structural factor explaining the Congolese conflict is the generalised system of political patronage that the DRC has inherited from the pre-colonial period, which was exacerbated during the colonial period and is still reinforced with the lack of democratic process since the independence period. (…)
With this specific organisation of political power in DRC comes a series of other structural factors, such as the ethnic aspect of competitive politics, which empties much of the democratic process of any real debate or exchange of ideas in favour of simply promoting members of its own community. The manipulation of ethnicity is thus one of the more efficient strategies for attainment and maintenance of power in the DRC. Ethnic solidarity is expressed usually in a negative way, so that rather than creating a basis for social cohesion expressing openness and tolerance, it tends to invade all spheres of society, including the financial and cultural, in an exclusive manner.
Another structural factor, linked to the above elements, concerns the problem of land across the country and more precisely the duality, if not opposition, between the modern official legal system and its traditional, but often un-official, counterpart. This duality in standards of land management has created a situation of uncertainty and insecurity in relation to land tenure, which is further exacerbated by the weakness of administrative and judicial institutions. (…)
A final structural factor that mainly arises from the legacy of the above-described system of governance is the general deterioration of the national and regional political system since the 1960’s. This deterioration is primarily characterised by violent and reoccurring ethnically defined conflicts in the Great Lakes region, and the presence of rebellions in Uganda, Rwanda, Burundi and the DRC with secessionist tendencies, political assassinations and coups.
Next to these structural factors, several secondary causes to the conflict can be identified, such as the presence of a multitude of national and international armed groups, the enormous mineral wealth in DRC, a series of unsuccessful military attempts to solve the conflict, the presence of a large amount of counteracting forces and an overall mentality of impunity. All this must be seen in a context where there is a very weak state, unable to react to any of the challenges cited above. »
LPI et APC ont donc effectivement choisi les communautés comme un des « points d’entrée » possible dans le processus de transformation des conflits de l’Est du Congo : en misant sur les acteurs de la société civile congolaise, nous espérons atteindre également, sous certaines conditions, une partie plus large de la société. Mais cela ne signifie pas que nous estimons que les ressorts de ces conflits soient uniquement locaux.
La deuxième précision que nous souhaitions apporter concerne la place de ces actions locales dans le travail de LPI. L’accent mis par S. Autesserre et J. Stearns sur le caractère très local de l’approche développée par LPI et APC (résumé sous l’étiquette « local reconciliation work ») ne doit pas occulter une autre partie substantielle de notre travail, qui vise les acteurs nationaux et internationaux.
Au-delà de l’approche communautaire
Recherche après recherche, LPI constate que les questions traitées dans les cadres de dialogue et de concertation soutenus par l’Institut ont des ressorts sous-régionaux. Pour ne citer que deux exemples : la question de la transhumance bovine à Fizi et Uvira, citée en exemple par S. Autesserre, ne saurait être comprise sans se pencher sur les politiques de modernisation de l’élevage menées au Rwanda et Burundi. Quant aux questions foncières, elles sont souvent étroitement liées à la question du retour des réfugiés depuis le Rwanda, le Burundi ou la Tanzanie. Plus généralement, on ne saurait ignorer les effets de politiques pilotées depuis Kinshasa ou certains pays étrangers sur le contexte de l’Est.
C’est notamment pour cette raison que LPI, dans son travail d’accompagnement technique et financier, encourage ses partenaires à identifier et travailler avec les « acteurs délocalisés » dans toutes leurs recherches : politiciens, militaires, réfugiés, opérateurs économiques, membres de la société civile, députés ou encore déplacés de guerre ne vivant pas à l’Est mais identifiés comme influents. Ainsi, dans le cas de la recherche sur Kalehe mentionnée ci-dessus, APC a interviewé 75 acteurs délocalisés à Bukavu, Goma et Kinshasa, en plus des réfugiés de Kalehe vivant au Rwanda. Parmi les interviewés figuraient nombre de responsables politiques, députés et officiers militaires. Autre exemple : dès 2007, pour ses recherches sur les problématiques de Fizi et Uvira, quatorze enquêteurs issus des ONG partenaire de LPI se sont rendus à Kinshasa, Kigali et Bujumbura ainsi que les camps des réfugiés tanzaniens de Lugufu et Nyarugusu pour des entretiens (en plus de ceux menés auprès des commandants militaires, chefs de cités, chefs des postes d’encadrement administratif et administrateurs des territoires).
Nous pensons que ce travail peut encore être rendu plus efficace s’il se double d’une stratégie efficace de plaidoyer à destination de ces acteurs nationaux et internationaux. C’est la raison pour laquelle LPI compte ouvrir avant la fin 2012 une antenne à Kinshasa. À travers elle, nous espérons un rapprochement avec les institutions étatiques congolaises ainsi qu’avec certaines institutions sous-régionales.
Reste la question des groupes armés. J. Stearns souligne à juste titre comment l’approche de transformation de conflit « par la base » est limitée au fur et à mesure que les groupes armés s’autonomisent des revendications de leurs milieux d’appartenance, si besoin, en s’insérant dans des réseaux économiques et politiques transnationaux – à noter que cette autonomisation reste souvent relative, car la plupart des « leaders » de ces groupes armés savent continuer à instrumentaliser la question identitaire pour légitimer leurs prises de position. La première nécessité pour les organisations de transformation de conflits est effectivement de comprendre les dynamiques internes de chacun de ces groupes, et la nature de leurs liens avec « la base » ; c’est la meilleure stratégie pour comprendre comment les atteindre, dans le souci d’inclure certains au processus de concertation intercommunautaire.
LPI a débuté ce travail dès 2003 avec la publication d’un travail de recherche d’Hélène Morvan sur la cohabitation des populations civiles avec les combattants maï-mai dans la région de Bunyakiri (rapport disponible au téléchargement ici). La démarche a été poursuivie en 2007-2008 à travers la recherche-action-participative menée par LPI et l’ONG UPDI sur le groupe armé Rasta, alors actif dans les zones de Nindja et Kaniola (Sud-Kivu) (rapport disponible ici).
La recherche sur Fizi et Uvira se focalisait également en grande partie sur le phénomène des groupes armés – d’où le titre de l’ouvrage auquel elle a donné lieu : « Au-delà des groupes armés : conflits locaux et connexions sous-régionales. L’exemple de Fizi et Uvira (Sud-Kivu)« . Elle a conduit les chercheurs de LPI et ses partenaires dans la zone sous contrôle des Forces Républicaines Fédéralistes (FRF), dont les leaders ont été rencontrés à Kamombo et à Mikenge puis inclus lors des phases de restitutions des conclusions de l’enquête aux populations. Les leaders maï-maï Yakutumba et Zabuloni ont également été interviewés plusieurs fois et ont participé aux restitutions et aux rencontres intracommunautaires, en plus de simples miliciens actifs ou des ex-combattants reconvertis à la vie civile.
Acteurs politiques nationaux et internationaux, leaders de groupes armés : on le voit, même si LPI et ses partenaires, dont APC, ne prétendent pas maîtriser parfaitement les complexes jeux et enjeux politiques, économiques et militaires à l’échelle de la sous-région, notre travail n’entend pas se réduire au dialogue intercommunautaire à l’échelle locale.
En somme, nous pensons que comprendre les dynamiques locales de violences ne doit pas conduire à ignorer qu’une partie du décor est planté par d’autres – un « cadre imposé » par un certain nombre de politiciens, diplomates, législateurs, businessmen. Mais nous pensons également qu’à l’inverse, examiner le cadre posé par la législation nationale et par les tractations diplomatico-militaires internationales ne doit pas faire oublier qu’au Congo comme ailleurs, les simples citoyens composent avec leur environnement, contournent ou adaptent les règles, se révoltent ou se soumettent, s’affrontent ou s’allient, pour une variété de raisons qui a souvent peu à voir avec les discussions de ministères ou d’organisations internationales, et qu’il convient plus que jamais d’explorer.