Les consultations menées tambour battant par Joseph Kabila depuis le 1er juin dernier ont permis aux observateurs de la scène politique congolaise, au stade actuel, de faire trois types de constats.
Premièrement : les élections locales devraient être reportées, d’une part en raison de multiples retards sur le calendrier, d’autre part à cause de l’absence de la loi sur la répartition des sièges récemment rejetée par l’Assemblée Nationale, enfin du fait que la communauté internationale rechigne à mettre la main à la poche quand, de l’avis du chef de l’Etat congolais lui-même, «la démocratie commence à coûter cher».
Un avis qui a été très mal accueilli dans l’opinion, où il a été généralement interprété comme symptomatique d’un état d’esprit bien particulier lorsque, ailleurs, le principe veut justement que le développement soit un indicateur pertinent du degré de liberté et de démocratie dans un pays.
Deuxièmement: si dialogue il doit y avoir, il devrait être circonscrit dans le temps et l’espace, avec un agenda précis tournant autour d’un calendrier consensuel qui ne serait pas un passe-droit sur le délai constitutionnel du mandat du chef de l’Etat. Cet agenda comprendrait aussi l’examen des questions liées au financement du processus électoral, à l’enrôlement des nouveaux majeurs et à la fiabilisation du fichier électoral.
Troisièmement : pour la plupart des acteurs politiques et de la société civile, le vrai problème, c’est Joseph Kabila que les uns et les autres poussent à déclarer solennellement qu’il quitterait le pouvoir, sans tergiversations ni faux-fuyants, au terme de son deuxième et dernier mandat. Cette déclaration, estime-t-on, contribuerait à décrisper le climat politique, contrairement au flou actuel qui entretient la confusion, le procès d’intention et la suspicion. Une suspicion renforcée par la volonté de Joseph Kabila et du bureau de l’Assemblée nationale d’organiser à tout prix une session extraordinaire du parlement sur la loi portant répartition des sièges pour les élections locales.
Avis de tempête
Cette proposition fait évidemment craindre à l’opposition et à la communauté internationale un trop plein d’élections susceptible d’allonger les délais et de déboucher, du fait de l’accumulation des retards et des reports, sur le glissement tant redouté.
Pour l’opposition, de la même manière qu’il n’était pas tombé sur la tête des Congolais lors des cycles de 2006 et 2011, le ciel ne devrait pas non plus tomber cette fois si les élections locales étaient reportées non pas sine die mais en2017. Ainsi s’explique la déclaration que les opposants ont faite dimanche 21 juin pour annoncer leur intention de boycotter la session extraordinaire, faisant brusquement monter la tension dans le pays.
Bref, autant d’ingrédients qui annoncent une véritable tempête sur fond de frustrations accumulées depuis des décennies par des Congolais qui n’ont jamais vécu, comme d’autres peuples africains, un processus démocratique totalement abouti.
Par ailleurs, projetée dans le contexte sous-régional dont on connaît à la fois les liens et la forte contagiosité, la situation de la RDC ne peut qu’alimenter les inquiétudes. D’abord face au modèle burundais dont Pierre Nkurunziza s’est fait le champion en réclamant un troisième mandat, sans doute pour son propre confort plutôt que celui de tous ses compatriotes qui veulent le voir respecter la constitution de son pays, souvent au prix de leur sang. Ensuite, face au modèle rwandais dans lequel Paul Kagamé espère se dissimuler derrière des pétitions grotesques pour justifier le hold-up d’un troisième mandat.
A ce stade, deux questions précises se posent. La première : entre ceux qui s’opposent à un troisième mandat du chef de l’Etat ou à un glissement, et ceux qui espèrent y parvenir au prix de n’importe quel artifice, qui constitue une menace au processus électoral et à une fin civilisée du mandat présidentiel ? A cet égard, la concentration des armes dans certaines provinces n’a pas paru de bon augure à certains analystes qui ont élevé la voix pour attirer l’attention de l’opinion internationale sur la dangerosité d’un cycle électoral irréaliste, ainsi que celle d’un découpage territorial qui n’a jamais été précédé par une réflexion préalable sur la viabilité des nouvelles provinces, des entités territoriales décentralisées, ainsi que sur l’impact de ce changement en termes de recomposition des circonscriptions et de répartition des sièges.
Deuxième question : que va faire ou, plutôt, que peut faire la communauté internationale pour conjurer le chaos ainsi annoncé ?
Alors que certains opposants souhaitent voir les partenaires de la RDC jouer un rôle clé sous l’empire de l’Accord cadre d’Addis-Abeba, les autorités congolaises s’y opposent pour leur part, poussant même les jeunes – pourtant nombreux à vouloir aller vivre en occident pour fuir la misère et le chômage – à s’en méfier au nom de la souveraineté de leur pays.
Par ailleurs, aux termes de sa résolution 2098, le Conseil de sécurité des Nations Unies a demandé au Représentant spécial pour la République démocratique du Congo de s’acquitter, au moyen de ses bons offices, entre autres tâches, de celle définie au point b du paragraphe 14 :«Promouvoir un dialogue politique transparent et sans exclusive entre toutes les parties prenantes congolaises en vue de favoriser la réconciliation et la démocratisation et encourager l’organisation d’élections provinciales et locales crédibles et transparentes».
Face à cette mission, la communauté internationale est demeurée assez attentiste, ce qui ne veut pas dire passive. Refusant jusque-là de mettre la main à la poche, elle a indiqué – après la rencontre entre Joseph Kabila et les ambassadeurs le jeudi 11 juin dans le cadre des consultations –que sept élections en moins de deux ans c’était beaucoup et coûteux, avant d’encourager le report des élections non indispensables (locales), et de prêcher l’enrôlement des nouveaux majeurs ainsi que le respect de la constitution.
Un enjeu majeur
La lecture qui a été généralement faite à Kinshasa de cette prise de position est qu’elle est à prendre ou à laisser, notamment pour ce qui concerne le volet financement du processus électoral. Ce qui ne veut nullement dire que la communauté internationale se désintéresserait totalement de la RDC. Bien au contraire.
Premièrement, la RD Congo est un enjeu stratégique de par sa position au cœur du continent, où il partage la frontière avec neuf autres pays. Cette position en fait un élément essentiel dans la stabilisation de la sous-région mais aussi la clé du commerce transafricain, dont la RDC devrait constituer une sorte de «hub» naturel.
Ensuite, la RD Congo devrait constituer un enjeu majeur pour l’avenir de la planète par ses nombreux et gigantesques gisements miniers, qui en font un scandale géologique, mais aussi par son statut de deuxième réservoir mondial de la biodiversité après l’Amazonie.
Au moment où des islamistes se sont installés en Somalie, lorgnant sur le Kenya avant de menacer toute l’Afrique de l’Est ; au moment où Al Qaïda au Maghreb Islamique projette d’étendre ses tentacules à travers tous les pays du Sahel ; au moment où Boko Haram menace le Nigeria, le Tchad et le Cameroun pour mieux progresser vers les pays fragiles de l’Afrique centrale et de l’Ouest; au moment où des groupes armés plus ou moins soutenus par des chefs locaux ainsi que des éléments indisciplinés de l’armée continuent de semer la terreur pour mieux s’enrichir des trafics les plus divers (bois, minerais, espèces animales et végétales ), menaçant l’autorité de l’Etat et l’intégrité du pays, la RDC devrait progressivement retrouver le statut et le rôle qui furent les siens au plus fort de la guerre froide : un verrou et un rempart s’étalant sur toute la largeur de l’Afrique centrale, de l’est à l’ouest. En d’autres termes, après les bricolages post dialogue intercongolais, les élections chahutées de 2006 et 2011, ne pas s’impliquer dans la stabilisation à long terme de la RDC constituerait pour ses partenaires une erreur stratégique grave.