C’est un véritable coup dur que vient d’enregistrer la majorité présidentielle. Même si nombre d’observateurs s’y attendaient, même si pour le porte-parole du gouvernement, lors de sa conférence de presse du jeudi 1er octobre, cela ne constitue en rien un événement, la démission le mardi 29 septembre de Moïse Katumbi Chapwe, en tant que gouverneur de l’ancienne province du Katanga et membre du PPRD, a fait l’effet d’une bombe.
Pour preuve, Lambert Mende lui-même a pris près de 20 minutes lors de son point de presse pour évoquer la question. Sur les réseaux sociaux, en revanche, ce sont des bravos à profusion qui ont salué, à tort ou à raison, l’initiative de Moïse Katumbi face à une minorité qui le dénigre, mais aussi à une opposition qui se demande quelle attitude adopter à son endroit.
La démission de Moïse Katumbi arrive après la fronde du G7, puis l’expulsion mouvementée de ses membres des rangs de la majorité présidentielle, confirmant ce que plusieurs analystes n’avaient pas manqué de souligner depuis plusieurs mois et semaines, à savoir que le malaise était plus profond qu’on ne voulait bien le faire croire au sein de la majorité et, plus récemment, que la fronde du G7 n’était que la face visible d’un tsunami dont les vagues successives risquaient, à terme, de dépeupler la majorité et d’isoler le pouvoir de Joseph Kabila, de plus en plus contesté à l’intérieur et critiqué par les partenaires extérieurs.
L’ascension de Moïse Katumbi, c’est d’abord l’histoire des débris d’un club de football légendaire, le TP Mazembe Englebert, que l’homme rassemble au milieu des années 90 dans la lignée d’un grand-frère, Soriano Katebe Katoto, homme d’affaires prospère ayant fait fortune dans l’industrie du poisson, aujourd’hui leader politique exilé en Belgique, qui en fut le manager du temps de sa marche triomphale sur le continent à la fin des années 60 et début de la décennie 70. Un club qui a repris, sous Moïse Katumbi, sa marche ascendante sur le continent, remobilisant les Congolais amoureux de football et leur proposant un style de management qui a séduit dans bien des provinces où certains l’ont érigé en modèle.
C’est ensuite l’histoire d’une famille ayant réussi à creuser, pour chacun de ses fils, un itinéraire lumineux qui a fait de Moïse Katumbi , un homme d’affaires dont la fortune s’est construite dans les minings et le transport, un manager avisé, un homme politique ne manquant ni d’audace ni d’imagination. Jusqu’à le pousser à faire main basse, au milieu des années 2000, sur le PPRD-Katanga, avant de devenir gouverneur de la plus riche des provinces de la RDC, d’y implanter un personnel politique à son image, mais aussi des regroupements des jeunes qui lui vouent un culte passionné.
La saga Moïse Katumbi est un mélange détonant qui a fait de l’ancien gouverneur du Katanga la cible de toutes les attaques, après l’avoir poussé à prendre des initiatives inédites pour marquer sa vision, son ambition et sa rébellion. A l’instar de cette métaphore restée célèbre des trois penalties lancée en début d’année pour marquer sa désapprobation de l’initiative visant l’obtention d’un troisième mandat pour le chef de l’Etat, ainsi que son attachement au principe de l’alternance démocratique. Une initiative évidemment considérée au sein de la majorité comme un crime de lèse-majesté. Mais qui était en réalité le signe avant-coureur de l’esprit G7 – dont certaines langues disent que Moïse Katumbi pourrait être le leader – et d’une rébellion originale, au point de lui valoir, début juin, ensemble avec trois autres gouverneurs de province, des menaces de poursuites judiciaires.
N’empêche, le mal est fait. L’homme qui vient de démissionner du PPRD et du poste de gouverneur n’était pas seulement l’un des éléments clés du pouvoir de Joseph Kabila. Il avait aussi et surtout pris, au fil du temps, les traits de celui qui était en mesure, par une offre politique audacieuse, d’activer d’intéressantes connexions parmi les partenaires traditionnels de la RDC, de diviser le clan katangais ainsi que la riche province dont il partage les racines sociologiques avec Joseph Kabila.
La question n’est donc plus, à ce stade, de savoir à quand la prochaine défection et qui risque-t-elle de concerner tant sur la scène politique nationale qu’à l’échelle du Katanga. Elle interroge plutôt l’avenir le plus proche des Congolais quant à l’impact des récents développements, y compris le divorce fracassant de Moïse Katumbi avec la majorité, sur le débat politique, en termes de recomposition du paysage politique et du sort du cycle électoral dont le tangage, depuis le début de l’année, a fini par désespérer les plus optimistes des pronostiqueurs.
Tout récemment, la «bipolarisation» était apparue comme la conséquence inéluctable d’une évolution qui tendait à mettre face à face deux camps lancés, l’un et l’autre, dans une bataille féroce pour, le premier, la conservation du pouvoir et, le deuxième, à défaut de sa conquête, à tout le moins le respect des dispositions impératives de la constitution et du principe de l’alternance.
C’est un phénomène qui plonge ses racines loin dans les avatars de la politique zaïro-congolaise des années 90. L’impasse politique issue de la conférence nationale souveraine avait projeté une scène politique fragmentée en deux camps opposés. Le premier, assimilé au statu quo, était représenté par les Forces Politiques du Conclave (FPC), une coalition organisée autour du MPR, parti politique dont le maréchal Mobutu était le fondateur, et comprenant les forces politiques et sociales soutenant le chef de l’Etat de l’époque. Le deuxième, se présentant comme le camp du changement, comptait les forces politiques et sociales réclamant le départ du président de la République de l’époque, avec l’Udps comme locomotive.
Seulement voilà, il eut aussi une troisième voie, représentée à l’époque par ceux qu’on avait appelés «les experts» rangés derrière Léon Kengo wa Dondo à travers l’Union des Démocrates Indépendants (UDI), dissident en premières noces de la famille politique du maréchal Mobutu, puis, accueilli par l’opposition, deuxième fois dissident, cette fois de celle-ci, sous la bannière d’une plateforme appelée «URD».
L’histoire serait-elle, par une sorte d’ironie du sort, un éternel recommencement? Les derniers événements survenus en RDC – qu’il s’agisse de la suspension des contacts entre l’Udps et le pouvoir, de la lettre du G7 suivie de l’exclusion de ses membres de la Majorité Présidentielle, de la révocation et ou de la démission de leurs collaborateurs oeuvrant dans les institutions, du réaménagement technique du gouvernement ainsi que du blocage du processus électoral, auxquels il faut désormais ajouter la démission de Moïse Katumbi – portent en effet les germes d’une radicalisation rampante, mais aussi d’une bipolarisation qui confirme que le pays est bel et bien engagé dans une impasse, dont se dégagent à ce stade deux enseignements majeurs. En premier lieu, Joseph Kabila n’a toujours pas clarifié sa position par rapport à la fin de son mandat. Deuxièmement, cette position pourrait induire une logique de confrontation avec les forces politiques et sociales déterminées à faire respecter la constitution dans ses dispositions intangibles.
Reste que la situation est loin d’être aussi claire. Si l’opposition n’offre individuellement ou collectivement, ni des ressources crédibles pour une véritable mobilisation à l’échelle nationale, ni des stratégies cohérentes autour d’une alternative crédible, il est tout aussi indiscutable que la majorité est sortie affaiblie des derniers épisodes du feuilleton politique congolais, au point qu’elle offre aujourd’hui un champ propice à toutes les hypothèses et à tous les opportunismes. On craint même, selon plusieurs observateurs, que le phénomène de défection au sein de la majorité aille s’amplifiant au regard de l’aspiration unanime à l’émergence d’une véritable tradition démocratique en RDC. A l’instar, justement, du gouverneur de l’ancienne province du Katanga, dont tout permet de penser que la démission entraînera beaucoup d’autres parmi ceux des membres de cette famille politique tentés de penser que, plutôt que de tout perdre, celle-ci aurait intérêt à abattre d’autres cartes que celle de Joseph Kabila pour espérer conserver le pouvoir et organiser l’alternance dans le calme.
Les limites d’une bipolarisation-bis se situent là. Si les observateurs doutent de la capacité de la majorité à fédérer, à proposer, à convaincre une opinion nationale de plus en plus dubitative, mais aussi et surtout les partenaires traditionnels, dont le poids avait été si déterminant dans les choix opérés en 2001, 2006 et 2011, il n’est en revanche pas évident que l’opposition et le G7 auront dans un avenir plus ou moins proche un agenda commun, le deuxième ayant toutes les raisons de craindre d’être phagocyté par la première, celle –ci se posant légitimement la question de savoir jusqu’où Moïse Katumbi ne sera pas tenté de s’infiltrer pour mieux diviser, ou jouer au loup solitaire dans un pays qui a ses références et ses certitudes.
Il n’est pas non plus exclu que, contrainte et forcée par les événements, la majorité finisse par s’incliner et récupérer malgré elle ses enfants rebelles dans l’espoir de conserver le pouvoir. A condition, évidemment, que la guerre de positionnement et les règlements des comptes n’aient entretemps achevé ce qui reste encore de la famille politique du chef de l’Etat.
De plus en plus illisibles, de plus en plus risqués, les paris sont lancés.