Dans la capitale congolaise, tous les signaux semblaient clignoter dans le même sens. La convocation du dialogue ne serait qu’une question de jours. Joseph Kabila l’a fait dire durant le week-end aux deux chambres du parlement par leurs présidents interposés, avant de rencontrer une délégation de la société civile dimanche et celle des diplomates accrédités à Kinshasa lundi 09 novembre !
Bref, encore quelques petits détails seulement à régler, y compris pour ce qui concerne la médiation, que l’Udps pour sa part souhaite internationale. Une formule que beaucoup d’autres leaders congolais, notamment proches de la MP, récusent en rappelant, par exemple, que la facilitation du Bostwanais Ketumile Masire lors du dialogue intercongolais de Sun City, avec sa tendance à allonger les débats, n’avait pas toujours été un grand succès. La question du format, du choix des délégués par leurs composantes respectives et du timing des travaux fera évidemment grincer les dents.
Avec d’un côté l’Udps, les partis politiques de l’opposition, les organisations de la société civile, les églises – parmi lesquelles les Kimbanguistes, les protestants et les catholiques – qui se sont prononcés favorablement, et de l’autre la majorité ainsi que les organisations qui lui sont alliées, mais aussi la communauté internationale, nombreux sont les observateurs qui sont tentés de penser qu’une large majorité des Congolais ne serait pas contre le dialogue. Mais ceci ne concerne que la forme.
Il resterait, alors, la question du contenu pour valider la tenue des assises. Qu’elle vienne de l’opposition ou de la majorité, la communication, à ce sujet, ne rassure pas. La Majorité Présidentielle nie la réalité du glissement et crie au procès d’intention. Elle souligne pourtant, au même moment, la nécessité d’apaiser le climat politique et d’éviter l’instabilité. Elle s’abstient cependant de se prononcer ouvertement sur la question du respect des délais pour la tenue des scrutins ainsi que des dispositions intangibles de la constitution.
L’opposition, du moins dans son segment «Dynamique de l’Opposition » veut de son côté faire croire qu’il est encore possible, avec tous les retards déjà accumulés, de respecter les échéances de décembre 2016 et d’aller aux élections avec un bureau de la CENI aux ordres et le même fichier électoral du scrutin controversé de 2011 ! Elle n’ose pas dire qu’elle serait aussi tentée par un schéma de coup d’Etat populaire pour répondre à un éventuel coup de force constitutionnel.
Il est un fait que les Congolais ne se sortiront pas de leur piège à vouloir chaque fois rechercher la petite bête dans la tête de l’autre. Ou à vouloir jouer en permanence «les anges contre les démons». Un peu comme si, à la tendance récurrente de la majorité de tricher pour conserver le pouvoir ne correspondrait pas la désorganisation d’une opposition infantile, versée dans les conflits de positionnement et les querelles de leadership, le vagabondage idéologique et la corruptibilité, une opposition incapable de produire une pensée cohérente et une stratégie efficace à opposer à la toute-puissance, vraie ou supposée, de la majorité.
L’hypocrisie de la classe politique congolaise se situe là. Dans les cercles privés, tout le monde admet volontiers que les délais sont intenables mais, en public, personne ne veut prendre la responsabilité d’un discours de vérité, d’une pédagogie de courage. Au bout du compte, chacun préfère abuser de la crédulité de la population, avec tous les risques, le jour où celle-ci découvrira enfin la triste vérité, d’une colère exponentielle.
Reconfigurer la CENI, constituer un nouveau fichier électoral avec l’accompagnement des partenaires ne sera pas une sinécure, c’est vrai. Mais ce pourrait, idéalement, être le prix à payer pour des élections honnêtes, sans chercher à sacrifier la population dans un cycle incontrôlable de violences. L’opposition commettrait en tout cas une erreur monumentale en faisant croire qu’elle est intellectuellement, moralement et politiquement incapable d’arracher des concessions substantielles dans la négociation avec un régime dont on sait qu’il traîne de nombreuses casseroles. Que cette négociation s’appelle dialogue, concertations ou tripartite majorité-opposition- CENI, force est de constater que tout le monde est, à ce stade, d’accord sur l’ordre du jour mais que la crainte des uns et des autres réside dans la capacité à contrôler les assises et donc les résolutions qui en sortiraient.
Il suffira, pour le reste, d’assortir tout compromis politique à venir de garanties de bonne fin, y compris en brandissant la menace de sanctions internationales – isolement diplomatique, blocage des avoirs et interdiction de voyage – ainsi que l’ouverture de certains dossiers devant la Cour Pénale Internationale pour les auteurs – déjà bien identifiés par les ONGs des droits de l’homme – des crimes contre l’humanité. La communauté internationale qui semble tout d’un coup impuissante pourrait, du coup, prendre sa part d’une situation dont elle est au moins aussi responsable que les Congolais eux-mêmes. Sauf à vouloir parier sur la «burundisation» du Congo !