Le bilan est maigre aussi bien pour les FARDC que la MONUSCO après une année de traques séparées des FDLR, des ADF, ainsi que d’autres groupes armés locaux à l’Est de la RD Congo. Les forces négatives ont connu une résurgence et excellent dans les massacres des populations, condamnant d’importantes marées humaines à l’errance. Afin de les démanteler, les FARDC et la MONUSCO décident à nouveau de reprendre leurs opérations. Cette collaboration est consacrée par l’Accord de reprise de la coopération militaire signée ce 28 janvier. Quelles sont les chances de réussite de cet accord qui a connu ses premiers couacs avec les déclarations « croisées » d’Hervé Ladsous et Lambert Mende ?
Sur demande insistante du nouveau chef de la MONUSCO, Maman Sidikou, qui, par trois fois, a formé le vœu auprès du Président Joseph Kabila de voir les deux parties unir leurs efforts pour venir à bout des FDLR, des ADF et des groupes armés locaux qui sèment la désolation dans la partie orientale de la RD Congo, les opérations militaires conjointes entre les FARDC et la MONUSCO sont désormais une réalité. Elles sont matérialisées par un accord signé ce 28 janvier par le Nigérien Maman Sidikou, côté onusien, et le Ministre Crispin Atama Tabe Mogodi, côté congolais. Plusieurs observateurs ont pensé que la nomination des Africains à la tête de la mission onusienne avait déblayé le terrain. Nommé un jour après la signature de l’accord à la tête des troupes onusiennes, le général sud-africain Derrick Mbuselo Mgwebi, dont le pays entretient des relations privilégiées avec la RD Congo, est entré officiellement en fonction le 1er février. Sa désignation venait à la suite de celle du Nigérien Maman Sidikou, en octobre 2015.
L’accord porte sur une panoplie d’appuis : logistique, appui au feu, renseignements, soutien médical et évacuation. En d’autres termes, a laissé entendre le porte-parole du Gouvernement et Ministre des Médias Lambert Mende dans une conférence de presse tenue le 02 février, cette collaboration consiste en un appui de la MONUSCO aux opérations menées par les FARDC. Et de souligner qu’ « il ne s’agit plus d’opérations conjointes ». Par ailleurs, la communication autour desdites opérations devra être soignée et se fera, soit par les seules FARDC, soit éventuellement par celles-ci conjointement avec les autorités compétentes de la MONUSCO et, dans tous les cas, en cohérence avec les FARDC. Un jour après, soit le 03 février, la mission onusienne a donné à son tour de la voix. Dans sa traditionnelle conférence de presse de mercredi, son porte-parole militaire Prospère – Félix a déclaré : « Nous mettrons à leur disposition nos moyens. Cette coopération reprendra en termes d’appui aux combats. Cela voudrait dire que, du point de vue tactique, nous serons sur le terrain et nous manœuvrerons avec les FARDC ou conjointement, de manière coordonnée. En plus, nous apporterons tout notre appui-feu, aussi bien par nos hélicoptères d’attaque que par nos pièces d’artillerie qui appuieront les actions sur le terrain. La Brigade d’intervention sera déployée sur le terrain et appuiera aussi les opérations des FARDC. »
Apparemment, le Gouvernement congolais et la MONUSCO n’ont pas tout à fait le même entendement de l’accord qu’ils viennent de signer. A moins qu’ici ou là on soit davantage préoccupé à sauver la face qu’à faire réellement la différence sur le terrain. La question de savoir quelles sont les chances de réussite de cet accord tombe, du coup, à point nommé. D’autant qu’avant même sa mise en œuvre, l’accord a enregistré son premier couac le 02 février avec un échange d’amabilités entre le ministre congolais Lambert Mende et le Français Hervé Ladsous, adjoint de Ban ki-Moon en charge du maintien de la paix. Se confiant à RFI, le haut fonctionnaire onusien a fait observer que le problème ayant brouillé la RD Congo et la MONUSCO était réglé, l’un des généraux en cause lors de la rupture de la coopération faisant l’objet de poursuites pour des activités antérieures devant les instances congolaises, l’autre ayant été redéployé ailleurs. Des affirmations qui ont été démenties aussitôt par le porte-parole du Gouvernement congolais qui, par un communiqué d’abord, ensuite à travers une conférence de presse, les a qualifiées d’inexactes et d’inacceptables. Il a rappelé à l’occasion les conditions exactes de la reprise de la collaboration entre les FARDC et la MONUSCO, prévenant qu’à l’avenir l’Exécutif se réservera le droit de tirer les conséquences de toute violation de l’accord.
Pour rappel, la MONUSCO, sous l’Allemand Martin Kobler, avait exprimé ses réserves dans le soutien à l’armée contre les FDLR, stigmatisant la présence dans le commandement des deux généraux, Kikabwe Fall et Bruno Mandevu, soupçonnés de violations des droits de l’homme dans une enquête de l’ONU. En réaction, l’Exécutif congolais – qui dénonçait ainsi une atteinte à sa souveraineté, partant les procédures jugées discriminatoires à l’endroit des FARDC – avait mis fin à la collaboration entre la force de la MONUSCO et les FARDC.
L’activation de la Brigade d’intervention de l’ONU est un maillon très important du succès des opérations à venir. En léthargie depuis le démantèlement du M23, ce régiment onusien requiert agilité et mobilité, par conséquent du matériel adéquat à la hauteur des enjeux, a déclaré à la presse Maman Sidikou ce 06 février. Une Résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies est attendue dans ce sens afin de corser davantage le mandat de la MONUSCO qui sera renouvelé fin mars. Entre-temps, le Secrétaire général des Nations unies a proposé au Conseil de sécurité un plan de réduction de 1 700 hommes supplémentaires après celui de 2 000 casques bleus dont le départ avait été acté en 2015.
Ce qui était inattendu à la faveur de cette reprise de la coopération, c’est qu’un rapport des experts de l’ONU est venu mettre, au même moment, en cause les FARDC dans la mort des deux casques bleus tanzaniens survenue le 05 mai 2015 lors d’une embuscade qui a fait également une vingtaine de blessés. Cette embuscade a été localisée à quelque 500 mètres du cantonnement des soldats loyalistes. Plusieurs versions courent à cet effet sur l’identité des assaillants, y compris le mobile de leur forfait. Se gardant d’en rajouter à la polémique afin de canaliser les énergies vers l’apaisement et le rapprochement, Maman Sidikou s’est refusé à tout commentaire devant la presse, alléguant que l’enquête continue afin de faire la lumière. De même, il n’a pas daigné évoquer l’incident Ladsous – Mende.
Autre fait qui qui risque de s’ériger en obstacle à la mise en œuvre de l’accord, parce que venant se greffer aux exactions des FDLR, des ADF et autres groupes armés locaux, ce sont les affrontements entre Hutu et Nande qui prennent chaque jour de l’ampleur. Le risque des violences à grande échelle est réel, étant donné que chaque communauté bénéficie de l’appui des groupes armés associés : les FDLR soutiennent les Hutu dont le retour sans observation de certaines mesures dans la zone est contesté par les Nande, ces derniers étant appuyés par des Mai-Mai. Il s’ajoute ainsi à cette dynamique de la confrontation, une dimension ethno-politique qui va au-delà du militaire.
Maigre bilan en 2015
Après l’occupation de Goma en novembre 2012 par les rebelles du M23, la coalition FARDC-MONUSCO avait fini par prendre le pas sur les hommes de Bosco Ntaganda, les délogeant de leurs zones de repli, notamment dans le Rutshuru. Les éléments résiduels ont trouvé refuge en Ouganda et au Rwanda, en attendant le dénouement de leur situation dans le cadre de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba. Certains ont bénéficié de l’amnistie de la part du Gouvernement.
Alors que la coalition avait le vent en poupe pour en découdre avec les groupes armés, les deux parties n’ont pu surmonter leurs divergences quant à l’approche sur la suite des opérations militaires. Les FARDC ont choisi de s’attaquer dans un premier temps aux ADF, pour ensuite se rabattre sur les FDLR. Elles ont perdu dans cette offensive un de leurs valeureux officiers, en l’occurrence le colonel Mamadou Ndala, qui s’était distingué dans le démantèlement du M23. En ce qui concerne la MONUSCO, ce sont les rebelles rwandais, le plus important groupe armé étranger opérant sur le territoire de la RDC, qui devaient être prioritairement dans la ligne de mire. A ce couac s’ajoute en février 2015 la stigmatisation des deux généraux congolais Sikabwe Fall et Bruno Mandevu. La collaboration entre les FARDC et la MONUSCO s’est trouvée bloquée, chacune des forces prenant la liberté d’opérer unilatéralement.
Au bout du compte, le bilan s’est révélé maigre. Dans un communiqué début novembre 2015, en réaction à un rapport onusien faisant état de la force des FDLR et des ADF, le Ministre Lambert Mende a dressé le bilan de l’armée. Selon lui, l’opération Sukola 1 avait permis de capturer 131 combattants ADF dont 97 mis en détention à Beni, Goma et Kinshasa/Ndolo, de tuer 676 éléments de ce groupe criminel et de récupérer plus de 400 armes légères et lourdes. Avec Sukola 2, neuf cent cinquante-six (956) FDLR ont été neutralisés de janvier à octobre 2015, sur le nombre total de 1200 estimé avant l’opération aussi bien par les services congolais que la MONUSCO. Et d’ajouter que les opérations menées par les FARDC ont sérieusement ébranlé les FDLR et les ADF, contraints de se retrancher dans des réduits difficiles d’accès tels que la forêt d’Itongwe au Sud-Kivu et le parc de Virunga dans le Nord-Kivu. Cela en dépit de quelques alliances avec des réseaux de complices locaux, également en voie de total démantèlement. Par ailleurs, 313 FDLR étaient gardés au frais à la prison d’Angenga, dans la province de l’Equateur. Affaiblis et acculés, ces groupes ont trouvé du ressort dans des stratégies de terrorisme, nécessitant une adaptation en cours de la réponse par les FARDC.
Côté onusien, un document est venu remettre en cause les exploits attribués aux FARDC. En effet, le Groupe d’experts sur la RDC, affirme, dans un rapport transmis le 16 octobre 2015 au Président du Conseil de sécurité, que les capacités militaires des FDLR restent intactes, malgré les opérations menées depuis janvier par l’armée congolaise. Certes, elles ont contraint les rebelles rwandais à se retirer de certaines de leurs fiefs et perturbé, entre-temps, certaines de leurs sources de revenus. S’agissant des prisonniers FDLR à Angenga, par exemple, les rédacteurs du rapport prétendent n’y avoir pu vérifier que la présence de 175 membres présumés FDLR au lieu de 313 sensés s’y trouver en août 2015.
Les résultats ne sont guère meilleurs s’agissant de l’offensive contre les ADF. Les experts onusiens notent que les opérations menées contre ces derniers, avec des carences évidentes, se sont poursuivies pour la deuxième année consécutive, mais n’ont permis le départ que de quelques éléments du groupe armé. Malgré l’arrestation de leur chef Jamil Mukulu, la structure de commandement des ADF « semble en grande partie intacte ». A charge de ces rebelles ougandais, entre 350 et 450 civils tués dans la région de Beni, d’octobre 2014 et juin 2015, dans au moins 50 attaques distinctes.
Tout compte fait, ni les FARDC ni la MONUSCO n’ont su protéger la population civile des attaques renouvelées de ces forces négatives. Encore moins contenir celles-ci et les mettre hors d’état de nuire, alors que plusieurs études ne les évaluent pas à plusieurs milliers. Le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) estime, après avoir recoupé plusieurs études, le nombre des FDLR entre 1000 et 2500 hommes, tandis que celui des ADF ne dépasse pas 300 personnes. Malgré leur nombre réduit, ils tiennent pourtant tête à des dizaines de milliers des casques bleus et des soldats congolais. Et le drame, c’est qu’incapables de renverser les gouvernements de leurs pays respectifs, ces rebelles rwandais et ougandais sont, en revanche, tournés vers la dynamique locale, imposant une misère indicible aux populations congolaises.
L’anéantissement des FDLR, des ADF, ainsi que d’autres groupes armés locaux est une des principales clés à la crise qui mine la paix et la stabilité dans la partie orientale de la RD Congo. Reste qu’après les offensives unilatérales infructueuses, des efforts doivent être conjugués ensemble pour vaincre ces ennemis, du reste communs. C’est l’intérêt de l’accord signé entre la MONUSCO et le Gouvernement congolais ce 28 janvier, appelés à bâtir un cadre de collaboration qui tienne compte aussi bien de la souveraineté du pays hôte que des principes fondateurs de l’ONU. Mais, il incombe à la RDC, théâtre des violences qui n’épargnent pas ses populations, de s’appliquer pour la neutralisation des groupes armés en tirant partie de la contribution de la communauté internationale à travers, notamment, la MONUSCO.
Moïse Musangana est associé au Groupe d’étude sur le Congo et l’ancien rédacteur en chef du journal Le Potentiel.