Jean KENGE MUKENGESHAYI
«Un homme politique dont la survie dépend de sa roublardise produit une dose de bonne foi directement proportionnelle à son engagement vrai ou supposé pour le développement de son pays ». Cela pourrait s’appeler le théorème de la bonne foi, appliqué avec autant de naïveté que de manque de courage à une scène politique dont la normalité est, justement, le déni de toute règle.
Lundi 27 février, au nom de l’Assemblée générale des évêques qui venait de se tenir trois jours durant à Kinshasa (22-25 février), l’abbé Donatien Nshole, porte-parole intérimaire de la CENCO, a fait le point sur l’évolution des négociations sur l’Accord dit de la St Sylvestre. La nouveauté, justement, n’en était pas une, l’équation étant restée là où Etienne Tshisekedi l’avait laissée avant de mourir : il n’y a toujours pas de premier ministre et, encore moins, de gouvernement issu de l’Accord de la CENCO.
Beaucoup d’observateurs, non sans une dose de cynisme, ont pourtant estimé qu’il y a eu des avancées dans la mesure où les Congolais savent désormais où se situe le blocage. Seulement voilà, ce n’est pas exactement ce qu’a dit le porte-parole des princes de l’Eglise. Plus exactement, on retient de ses déclarations une sorte de retour aux convergences parallèles de la glorieuse époque de la conférence nationale souveraine : «il ne se justifie nullement l’intransigeance de présenter un ou plusieurs noms (sic). C’est question de bonne foi. L’appel est lancé aux uns et aux autres de considérer d’abord l’urgence dans laquelle se trouve notre population aujourd’hui. Je crois que c’est d’abord question d’aimer le pays plutôt que de considérer le positionnement politique ».
On croit rêver de voir nos pères spirituels chasser les mauvais esprits avec juste le goupillon et l’eau bénite, là où toutes les expériences antérieures ont abondamment appris aux Congolais que ce n’est pas dans Machiavel – le livre de chevet de nos politiciens – qu’on peut trouver les principes moraux que les leaders spirituels invoquent pour changer le cours des événements dans leur pays.
Le péché originel qui risque de tout compromettre se situe là, dans cette capacité ou non de mettre la lumière sur la table comme le recommande l’évangile, sans langue de bois. Certes, les prélats dont la vocation n’est justement pas de se laver les mains comme Ponce Pilate, ont pris la précaution – à la fois subtile et utile – de lancer un appel au Chef de l’Etat «en sa qualité de garant de la nation, à s’impliquer davantage dans la mise en œuvre de cet accord, particulièrement dans le processus de nomination du premier ministre chargé de former le gouvernement ayant pour priorité l’organisation des élections ».
Cela suffira-t-il pour autant dans un contexte où à l’imbroglio politique s’ajoutent le retour aux affaires, si on peut dire, des groupes armés, des tueries dans l’Est et le centre du pays, ainsi que des violations massives des droits de l’homme à divers endroits? Dans plusieurs cercles et chancelleries, on doute de plus en plus de la volonté ou de la capacité – c’est selon – des acteurs politiques congolais à mettre en avant ce que les évêques appellent l’amour du pays. Les réactions se multiplient de plus en plus dans ce sens.
Le vendredi 24 février, le chef de la mission adjoint de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique rappelait encore la nécessité et l’urgence d’une enquête au sujet des prétendus massacres survenus dans les Kasaï. Il en est de même du député belge Peter Luykes qui a plaidé pour la cessation de la coopération militaire entre la Belgique et la RDC, alors que le ministre belge des Affaires Etrangères Didier Reynders prônait une enquête internationale indépendante, tout en déclarant espérer que l’engagement du gouvernement congolais à faire toute la lumière sur la question ne serait pas «une promesse en l’air ». Dans son élan, le ministre belge a souhaité que l’enquête s’étende à la dégradation de la sécurité dans d’autres régions du pays, notamment l’Est.
Autre indication du ras-le-bol qui monte de plus en plus au sein de l’opinion internationale sur l’interminable crise congolaise, la menace du retour des sanctions nettement brandie par le ministre britannique en charge de l’Afrique. Tobias Ellwood qui achevait une visite de trois jours en RDC a déclaré dans un communiqué daté du 24 février qu’il était « extrêmement important de mettre en œuvre l’Accord du 31 décembre 2016 ». Avant de passer à la menace : «Si nous ne constatons pas des progrès significatifs, nous envisageons, avec nos partenaires européens, l’imposition des sanctions supplémentaires contre tous ceux qui constituent un blocage et qui violent les droits de l’homme ».
Question une nouvelle fois : cela suffira-t-il ? Le dernier semestre de l’année dernière a vu les Etats-Unis d’Amérique s’afficher en première ligne pour l’adoption des sanctions ciblées, suivis avec un enthousiasme tout de même sujet à caution par certains de leurs partenaires. Depuis, de nombreux analystes préconisent de passer à une autre étape, plus coercitive, avec la création d’une véritable force de dissuasion sur le modèle de la force Artémis du milieu des années 2000, afin de corriger les lourdeurs paralysantes de la Monusco. En attendant, il s’agit de bloquer la tentation de dénoncer l’Accord qui court dans certains rangs du Rassemblement, mais aussi de stopper l’appel à la dissidence qui séduit de plus en plus beaucoup de candidats à la mangeoire nationale.