C’est désormais acquis : les deux experts de l’ONU Michael Sharp et Zaïda Catalan ont été retrouvés morts, décapités, dans la région de Bunkonde, près de Tshimbulu, au Kasaï central. Deux serviteurs de la paix dans le monde qui sont tombés au nom de la méchanceté des hommes et de leurs ambitions pour le pouvoir. Avant eux, de nombreux casques bleus de l’ONU étaient tombés sur le champ de l’honneur pour la cause du Congo démocratique, exactement comme le fut, en …au cours de l’opération Onucongo, un certain Dag Hammarshold alors secrétaire général de l’ONU.
La vive émotion soulevée dans le monde par ces exécutions est la preuve que le crime ne restera pas impuni, que des enquêtes vont être diligentées pour dégager les responsabilités et dénoncer les coupables autant que les commanditaires, ceux qu’on appelle dans le jargon judiciaire international les auteurs intellectuels, quand bien même il est évident qu’au-delà de la volonté manifeste d’entraver le travail de l’ONU, il existait celle de noyer l’affaire des vidéos des massacres des populations civiles entre autre à Mwanza Ngoma avec l’affaire des décapités de Bunkonde. Pour autant, il ne sera pas évident de convaincre l’opinion, ni sur le mode opératoire de ces exécutions qui ne ressemble en rien aux coutumes locales, ni sur l’existence d’une milice désormais tentaculaire qui aurait subitement déserté les limites de ses revendications locales pour s’étendre sur pas moins de cinq provinces – Kasaï central, Kasaï, Kasaï oriental, Sankuru et Lomami – , ni sur sa soudaine capacité à tendre des embuscades, rien qu’avec des bâtons, des bandeaux rouges et des incantations magiques, à des «policiers » surarmés venus de Kinshasa.
Ce n’est pas le seul malaise qui souffle aujourd’hui sur le Congo démocratique et lui donne cette image d’un pays de l’ailleurs. Il y a aussi cet échec retentissant des bons offices des évêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), dont la bonne volonté et l’enthousiasme se sont brisés sur l’hermétisme et la bêtise des acteurs politiques congolais arcboutés sur la défense de leurs privilèges présents et à venir. En rendant le tablier lundi au président de la république, les évêques ont entendu ce dernier annoncer que cet échec apparent ne signifiait pas la fin des négociations, qu’au contraire il allait personnellement s’investir pour évacuer les dernières divergences et qu’il s’exprimerait sur ses initiatives devant les deux chambres du parlement réunies en congrès.
L’annonce de Joseph Kabila était censé ramener l’espoir au sein d’une population désabusée. Mais beaucoup d’autres analystes n’ont pas manqué de faire remarquer que la manœuvre, une nouvelle fois, comme en décembre dernier avec l’annonce des bons offices des évêques catholiques, se voulait habile pour désamorcer la bombe des manifestations populaires spontanées, dont on a eu un aperçu mardi 29 mars dans certains quartiers de la capitale et certaines grandes villes de la RDC comme Lubumbashi, où des manifestants ont fait face à la police tandis que d’autres brûlaient des pneus.
Cette illustration vient malheureusement valider les craintes, formulées par de nombreux experts de la question congolaise, d’une généralisation prochaine de la violence et du retour du chaos en RDC. Tout ceci dans un contexte, justement, où la contestation est en train de monter dans les états-majors des partis politiques de l’opposition qui n’excluent plus de décréter l’illégitimité des institutions issues des élections de 2006 (Sénat et assemblées provinciales) et 2011 (Assemblée nationale) ainsi que de leurs animateurs.
La RDC se retrouve ainsi dans la situation qui était la sienne en décembre 2016 avec des institutions fin mandat obligées de tenter le coup de force pour se maintenir, face à une population déterminée à revendiquer l’alternance. Et c’est là tout le paradoxe de la crise congolaise, dans la mesure où c’est le même président de la république contesté qui promet, à la fois juge et partie, d’y trouver la solution la plus appropriée. C’est pourtant lui qui a laissé la majorité démanteler le dispositif de l’accord relatif à la désignation du premier ministre. C’est aussi lui, à travers le communiqué de la présidence de la république du 29 mars, qui laisse sa famille politique opérer une intrusion dans les prérogatives d’une autre, notamment sur la désignation du président du Conseil national de Suivi de l’Accord, qu’il exige désormais d’être une personne consensuelle ! Enfin, plusieurs critiques ont épinglé le fait que pour arbitrer, Joseph Kabila se sente obligé replacer dans le cœur du jeu un congrès constitué d’institutions contestées parce que largement fin mandat que sont l’Assemblée nationale et le Sénat, par ailleurs dominés par sa propre majorité !
Au cœur du nouvel épisode de la crise congolaise, les évêques n’ont pas toujours eu la tâche facile. Ils ont été critiqués d’avoir, par leurs bons offices, aidé la majorité à traverser la date du 19 décembre sans, en retour, avoir consenti la moindre garantie de bonne fin. Ils ont aussi été critiqués de n’avoir pas eu les ressources morales nécessaires pour désigner les acteurs du blocage et surtout d’avoir accepté que certaines dispositions de l’Accord de la Saint Sylvestre, notamment sur la désignation du premier ministre, soient reformulées au risque de remettre en cause l’ensemble du dispositif. Il reste que ce faisant, la Cenco a eu l’habileté de placer Joseph Kabila, qui s’en est vanté, devant ses responsabilités de garant de la nation. A ce dernier d’apporter la preuve qu’être garant c’est être au service de la vérité et de la stabilité et non à son propre service ou celui de sa famille politique. Le choix qu’il fera, et qui portera sa marque, avancera le pays ou le plongera définitivement dans l’impasse.