La situation politique et sécuritaire en république démocratique du Congo est si préoccupante que beaucoup d’observateurs ont parfois tendance à penser qu’elle devrait être le seul sujet de mobilisation générale tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières nationales. Il est vrai, de manière incontestable, qu’elle est la source de blocage des énergies qui devraient normalement servir à booster les autres activités et secteurs de la vie nationale aujourd’hui paralysés par la focalisation de la classe politique sur les préoccupations de partage ou de conservation du pouvoir par l’entremise de l’accord politique global et inclusif, même au prix d’un recul du débat relatif à l’alternance démocratique.
Comment ne pas penser, en effet, qu’au-delà des turpitudes de la classe politique dans son ensemble, les violences dans le nord-est avec les groupes armés, l’ouest avec les revendications identitaires cristallisées autour du gourou politico-religieux Ne Muanda Nsemi, avec son discours ambigu sur l’improbable république Ne Kongo, dans le sud avec les violences communautaires entre bantous et pygmées, dans le centre avec l’émergence de la milice tentaculaire de Kamuina Nsapu, dont les revendications ont subitement dépassé le cadre local et coutumier pour entrer de plein pied dans la sphère politique, sont autant des facteurs favorables à l’enlisement ?
Certes, à la décharge de la naïveté vraie ou supposée des opposants, force est de constater qu’avec l’appât de la mangeoire, il y a toujours un tireur de ficelles auquel le crime profite depuis le lancement des initiatives controversées, à l’aube de l’année 2015, pour la modification de la constitution. Et que la majorité qui a brillé de mille feux dans ces initiatives ne pourra jamais s’exonérer de sa responsabilité dans le délitement des valeurs démocratiques sur lesquelles devrait se fonder le socle républicain, mais aussi, pour avoir failli dans sa charge de booster l’émergence de la RDC après avoir exercé le pouvoir depuis 2001.
Autant dire que la majorité est responsable de tous ces drames oubliés qui sont autant de crimes dans la gestion du pouvoir en place. C’est le cas de l’implosion du cadre macro-économique, avec comme indicateur emblématique la chute du franc congolais face aux monnaies étrangères, principalement le dollar américain qui se négocie aujourd’hui à 150 francs congolais sur le marché libre, avec son corollaire naturel l’envolée de l’inflation symbolisée par la hausse des prix des denrées de base. Ainsi en l’espace de deux semaines, le prix du carburant à la pompe a enregistré deux hausses symptomatiques, de 75 FC dans un premier temps, puis de 35 FC, établissant le prix du super à la pompe à 1640 FC. On attend désormais les répercussions sur les biens de première nécessité, les charges scolaires et hospitalières, ainsi que sur le transport en commun pour des populations sans pouvoir d’achat réel, vivant avec moins de 2 dollars par jour selon les indices de développement humain du PNUD, et dont le taux de chômage avoisine les 80% de la population active.
« La situation sociale de la population a atteint les limites du supportable », s’est écrié le président du sénat mercredi 15 mars à l’ouverture de la session parlementaire du mois de mars, fustigeant dans la foulée la montée vertigineuse de l’inflation qui a engendré l’emballement des prix et la détérioration du franc congolais. La chute du pouvoir d’achat de la population se situerait actuellement entre 40 et 50 %, a précisé le président du sénat pour qui « la situation sociale des Congolais ne doit pas être l’otage de l’enlisement politique ».
Quel sens le président du sénat a-t-il voulu donner à son discours dans un contexte où toutes les institutions, y compris la sienne, sont frappées d’illégitimité ? Toujours est-il que, pour Kengo wa Dondo, il n’y a pas aujourd’hui quatre chemins pour se sortir de cette situation. Il faut tout simplement mettre en application au plus vite l’accord politique global et inclusif conclu le 31 décembre 2016 sous les auspices de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO).
Autre indicateur de la généralisation de la pauvreté en RD Congo, la desserte en eau potable et en électricité. Depuis bientôt deux mois, la situation est en train de déraper dangereusement, les deux sociétés publiques, la Régideso pour l’eau et la SNEL pour l’électricité, accusant d’une même et seule voix le niveau des eaux du fleuve et de ses affluents – le fameux étiage – du fait de la petite saison sèche qui frappe la RDC depuis plusieurs semaines, ensablant d’une part les usines de captage et de pompage d’eau et, de l’autre, les turbines des barrages d’Inga en aval du fleuve Congo. Une situation qui ne dessert pas que les ménages. Des usines, écoles comme hôpitaux sont également logés à la même enseigne.
Jouissant d’un monopole que rien ne justifie, la société nationale de production et de distribution de courant n’a que ses yeux pour pleurer l’incurie qui s’est installée dans ce domaine et dont elle devrait être comptable depuis plusieurs années de mauvaise gestion et d’impunité. De guerre lasse, elle a pourtant averti la semaine dernière qu’elle allait réduire de « près de la moitié » sa production si la baisse du niveau des eaux du fleuve Congo continuait.
« Si la tendance actuelle en pluviométrie ne s’améliore pas, la Société nationale d’électricité sera contrainte de limiter le fonctionnement de ses machines », a déclaré à l’AFP Médard Kitakani, porte-parole de la société. Avant d’ajouter : « La perte de production pourrait se situer entre 350 et 400 mégawatts alors que la production actuelle oscille autour de 900 mégawatts ».
S’agissant des causes à la base de cette situation, Cédric Tshumbu en charge de la surveillance et de l’entretien des cours d’eau a expliqué : « Dans l’ensemble du réseau, il a été enregistré un déficit de pluviométrie en amont de Kinshasa avec comme conséquence des eaux qui ont baissé de moitié comparé à la même période l’année dernière ».
On croit rêver du fait que, brusquement, tout, à la Snel dépende de la météo. En réalité, les déficits structurels dont souffre la RDC dans le secteur de la desserte en énergie électrique ne datent pas d’aujourd’hui. Le pays est même classé parmi les États africains disposant d’un faible taux de desserte en électricité qui varie entre 9 et 15% pour ses 70 millions d’habitants, malgré un important potentiel hydroélectrique.
Selon les données du ministère de l’énergie, le déficit sur le réseau Ouest (Kinshasa et Bas-Congo) était globalement de 600 MW en 2013 et 850 MW en2014 ; de 355 MW en 2013 et 500 MW en 2014 pour le Katanga, alors que la demande pour la seule industrie minière était de 757 MW contre 150 MW pour les autres consommateurs. La même source estimait la demande globale à l’horizon 2020 à 4.000 MW et à 6.000 MW à l’horizon 2030.
Sur les 9% de la population de la RDC ayant accès au courant électrique, seuls 44% des Kinois en sont bénéficiaires, ce qui repousse bien loin la situation dans les provinces. En octobre 2015 à l’occasion de l’examen du projet de loi sur le secteur de l’électricité, les élus avaient jugé cette situation insupportable et surtout paradoxale dès lors que l’électricité est un facteur majeur du développement. Pour eux, il fallait modifier urgemment le cadre législatif et de gestion du secteur afin de permettre au plus grand nombre de Congolais d’accéder à une énergie électrique abondante et de qualité. La loi avait ainsi opté pour la libéralisation du secteur de l’énergie doublée d’une répartition des compétences entre le pouvoir central et les entités décentralisées. La loi recommandait aussi l’érection de tout site hydroélectrique en site d’utilité publique inaliénable. Elle soulignait l’obligation de protection de l’environnement pour tout projet de développement dans le secteur, mais aussi celle de l’opérateur et du consommateur.
Force est malheureusement de constater que depuis l’adoption de cette loi, le monopole persiste toujours dans le chef de la SNEL pour des raisons qui n’ont toujours pas été précisées, alors que plusieurs investisseurs frappent à la porte de l’immense gisement hydroélectrique congolais. Depuis, le gouvernement n’a pas non plus rien mis en œuvre pour promouvoir les énergies alternatives et à moindre coût comme l’éolienne et le solaire, notamment par des mesures d’incitation fiscale. Du coup, on peut estimer que la fin des coupures et des délestages intempestifs, ce n’est assurément pas pour demain.
Jean KENGE MUKENGESHAYI