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Conflit violent
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Guest blog: Expliquer la violence à Yumbi

Thijs Van Laer est directeur de programme Prévention et résolution des déplacements de l’Initiative internationale pour les droits des réfugiés (IRRI), en Ouganda.


En décembre 2018, deux semaines seulement avant les élections nationales, des centaines de personnes ont été tuées lors d’un massacre en République démocratique du Congo (RDC). Les scènes sinistres ne se sont pas déroulées à l’Est, où la violence armée a causé la mort de nombreuses victimes depuis des décennies. Cette fois-ci, l’horreur s’est perpétrée dans l’ouest du pays, à 300 km au nord-est de la capitale Kinshasa.

Selon l’ONU, plus de 535 personnes ont été tuées à Yumbi (province de Maï-Ndombe) lors d’attaques organisées et planifiées par des membres de la communauté tende contre des membres de la communauté nunu. Ces violences ont duré moins de 48 heures. Et 16 000 personnes ont fui vers le Congo-Brazzaville voisin, plus de 12 000 autres ont cherché refuge sur des îles du fleuve Congo ou dans des villes alentour.

Yumbi ne figurait pas parmi les foyers de tensions en RDC, comme ce fut le cas lors d’épisodes de violence récents dans la région du Kasaï et dans les provinces de l’Ituri et du Tanganyika. Pour comprendre les causes de ces conflits et évolutions, l’Initiative internationale pour les droits des réfugiés (IRRI) a mené ses propres enquêtes à Yumbi, interrogeant 35 victimes et d’autres personnes bien informées sur les événements.

Contexte

L’enterrement du chef coutumier des Nunu, décédé dans la ville de Yumbi dans la nuit du 14 décembre, constitue l’élément déclencheur des violences. Des membres de la communauté des Tende avaient averti les Nunu de ne pas inhumer leur chef dans le centre-ville. Les autorités l’avaient également interdit, mais les Nunu ont décidé de passer outre et ont enterré leur chef aux côtés de ses prédécesseurs, comme l’exige leur coutume. Ils sont allés ensuite dans les rues pour célébrer leur succès par des chansons. Et ils auraient attaqué des maisons occupées par des membres de la communauté tende. Ces derniers ont considéré cela comme de la provocation.

Les Tende sont certes minoritaires dans la ville de Yumbi, mais demeurent plus nombreux que les Nunu sur l’ensemble du territoire qui porte le même nom. Pendant des décennies, les deux groupes se sont disputés l’accès aux terres, à l’électricité et à d’autres ressources. La majorité des Tende affirment que ces terres leur appartiennent et occupent la plupart des postes coutumiers et administratifs aux niveaux local et provincial. Cela a alimenté la frustration de la minorité nunu, considérée comme relativement mieux lotie, s’abonnant notamment à des activités de pêche. Les Nunu ont régulièrement réclamé la création de leurs propres entités administratives, qui seraient dirigées par leurs propres chefs coutumiers. Ce qui leur donnerait une plus grande influence, notamment en ce qui concerne la terre. Ces revendications ont entraîné des affrontements avec d’autres communautés, notamment avec le village de Sengele, dans le village de Nkuboko (territoire d’Inongo), en novembre 2018 et avec les Tende.

Des affrontements ayant eu lieu en 1963, 2006 et 2011 constituent des antécédents historiques de la violence enregistrée à Yumbi entre les Nunu et les Tende. Les deux groupes ont eu également recours à des alliances avec de puissantes tierces personnes : les Nunu auraient été ainsi favorisés par les colonisateurs belges, tandis que les Tende auraient bénéficié du soutien étatique lorsque Laurent- Désiré Kabila est arrivé au pouvoir. Chacun de ces épisodes a renforcé les ressentiments des deux côtés et a jeté les bases de prochains affrontements.

Les événements de décembre

Après la cérémonie d’inhumation, les Tende se sont mobilisés dans des villages voisins. Ils ont lancé des attaques, le 16 décembre, à Yumbi, et, le 17 décembre, à proximité de Bongende et de Nkolo-Yoka. Les entretiens menés par l’IRRI auprès des survivants ont confirmé l’organisation et la brutalité de ces assauts. Compte tenu de la rapidité de la mobilisation des assaillants, les victimes et les observateurs soupçonnent les auteurs de ces actes d’avoir mis en œuvre un plan préconçu. Les combattants tende sont venus en grand nombre, venant de plusieurs directions, armés de machettes, de fusils de chasse, mais aussi d’armes militaires et d’amulettes. Ils ont fait du porte-à-porte, tuant des habitants, pillant des biens et incendiant des maisons. Certains barrages routiers ont été installés pour empêcher les Nunu de s’échapper. Des attaques ont été aussi lancées contre ceux qui tentaient de s’enfuir par la rivière au moyen des pirogues. Des survivants ont raconté comment des membres de leur famille avaient été brûlés vifs ou démembrés. Un témoin a déclaré avoir entendu des hommes en uniforme militaire dire : « Notre mission est de tuer les Nunu. Si nous leur tirons dessus et qu’ils ne sont pas encore morts, vous devez les achever avec des machettes. » Une enquête judiciaire paraît nécessaire pour déterminer si des crimes contre l’humanité ou même un génocide ont été commis lors de ces attaques.

Certains Nunu ont tenté de faire preuve de résistance et ont mené des attaques de représailles (l’IRRI a interrogé un Tende qui a déclaré que les Nunu avaient tué plusieurs membres de sa famille à Yumbi), mais ils étaient moins bien préparés et moins équipés que les assaillants. Des témoins ont déclaré à l’IRRI avoir vu des policiers et des personnes en treillis militaire participer aux attaques aux côtés des Tende. C’étaient sans doute des soldats démobilisés ou des militaires en activité participant à ces assauts pour leur propre compte. La milice, de son côté, a attaqué une position des forces navales, tuant au moins un de ses membres à Bongende; mais elle était généralement confronté à peu de résistance de la part des forces de sécurité de l’Etat.

Réponse

Quelques jours plus tard, des renforts militaires et policiers sont arrivés et ont rétabli un ordre précaire. De nombreuses personnes à qui nous avons parlé ont préconisé de renforcer la présence de l’État et ont vivement critiqué les autorités provinciales pour leur réaction tardive et limitée lors des événements, alors même qu’elles étaient au courant de ce qui se passait. Les habitant ont refusé d’accepter un administrateur civil envoyé d’Inongo, la capitale de la province, pour remplacer son prédécesseur tué, et ont préféré laisser l’administrateur militaire par intérim en place. Nombreux sont ceux qui accusent le gouverneur sortant, Gentiny Ngobila, mais aussi le chef coutumier et le commandant de la police, tous des Tende, d’être à l’origine des attaques, mais l’IRRI n’a vu aucune preuve concluante de ce sujet. Ngobila a depuis été élu gouverneur de Kinshasa.

La mission de maintien de la paix des Nations unies (Monusco) a chargé des Casques bleus de sécuriser la zone et a mené une enquête approfondie sur les violations des droits de l’homme. Cependant, à l’instar de la violence survenue dans la région du Kasaï à la fin de 2016, la mission onusienne a éprouvé du mal à réagir aux attaques de Yumbi – sa présence réduite dans l’ouest de la RDC et ses nombreux défis concurrents y ont contribué.

L’un des objectifs de la nécessité d’une présence militaire renforcée est de permettre le retour des réfugiés à Makotimpoko (Congo-Brazzaville) ou des personnes déplacées à l’intérieur du pays. Les autorités militaires et civiles ont exhorté ou fait pression sur les populations pour qu’elles regagnent Yumbi. Un nombre important d’entre elles a répondu à ces appels, mais d’autres restent sceptiques à cause de la sécurité et des conditions de vie inquiétantes. De nombreuses personnes déplacées n’ont même plus de maison, pourraient devoir faire face aux auteurs à leur retour et revivre ainsi leur traumatisme. Des acteurs humanitaires arrivent de plus en plus dans la région, mais les besoins demeurent immenses, car plus de 1 000 maisons, 14 écoles et 4 centres de santé ont été détruits.

Élections

Invoquant des raisons de sécurité, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a décidé le 26 décembre de reporter les élections législatives et provinciales à Yumbi, comme dans certaines parties de la province du Nord-Kivu. Son bureau à Yumbi avait été incendié lors des attaques. Malgré de nombreuses inquiétudes quant à l’impossibilité de voter des personnes déplacées, principalement des Nunu, les élections ont finalement eu lieu le 31 mars. Le parti de l’ancien président Joseph Kabila, le PPRD, a remporté les deux sièges en jeu à l’assemblée provinciale et à l’Assemblée nationale.

Les deux élus sont originaires de la communauté tende, qui semble être plus proche de Kabila que les Nunu, réputés plus opposés à l’ancien président. Ces derniers sont susceptibles de contester les résultats, car ils se sentent déjà sous-représentés à tous les niveaux. Étant donné le moment choisi pour les attaques, nombre de personnes soupçonnent bien entendu un lien avec le processus électoral, comme ce fut le cas pour les violences qui avaient précédé des échéances électorales de 2006 et de 2011.

Prévues initialement en septembre, les élections locales à venir pourraient constituer le prochain rendez-vous de tensions. Bien qu’ils permettent plus d’inclusion et de responsabilisation locale, ces scrutins sont à risques : la campagne électorale sur les thèmes de l’identité, du pouvoir et des ressources pourrait entraîner à nouveau des violences à Yumbi et ailleurs, surtout si les résultats des élections sont par la suite manipulés et des différends électoraux mal gérés.

Réconciliation et responsabilité

Les risques de nouvelles violences resteront élevés si les efforts pour promouvoir la réconciliation et la responsabilisation restent moindres, comme ils le sont actuellement. Certaines mesures ont été prises pour tenter d’inverser la tendance : une délégation gouvernementale s’est rendue dans la région pour promouvoir la réconciliation et des dirigeants des deux communautés ont été invités à Kinshasa pour un dialogue. Vingt et un suspects ont été arrêtés et transférés à Kinshasa. Des témoins ont toutefois cité les noms de plusieurs autres auteurs qui sont toujours en fuite.

Une religieuse catholique a confié à l’IRRI : «Nous avons besoin de réconciliation. Mais les gens ont aussi besoin de justice, de vraie justice. Sinon, il n’y aura jamais de réconciliation. » Les retours précipités des personnes déplacées, les réponses inappropriées des forces de sécurité et les traumatismes non traités pourraient raviver le conflit, malgré les nombreux récits de cohabitation et de solidarité antérieurs lors des violences entre les groupes ethniques. Pour éviter une reprise des conflits, il est essentiel d’investir massivement dans les efforts de réconciliation et d’étendre les enquêtes et les poursuites de l’ONU aux personnes qui ont organisé la violence.

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