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Politique nationale
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Pourquoi Sylvestre Ilunga Ilunkamba a été désigné Premier ministre en RDC


La République démocratique du Congo a enfin un nouveau Premier ministre depuis le 20 mai. Son nom : Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Mais pourquoi lui et pour quoi faire ? Tentatives de réponse.

Qui a soufflé le nom de Ilunga Ilunkamba ?

À 72 ans, avec un parcours politique plutôt discret ces deux dernières décennies, Sylvestre Ilunga s’est vu confier, le lundi 20 mai, la responsabilité de conduire le futur gouvernement congolais issu des élections controversées de fin décembre 2018. Celui qui était jusqu’ici directeur général de la Société nationale des chemins de fer (SNCC), après son passage au Comité de pilotage de la réforme des entreprises du portefeuille de l’État (Copirep) entre 2003 et 2014, devient ainsi le premier Premier ministre de l’ère Félix Tshisekedi. Le chef de l’État le connaît-il ? « Pas vraiment », concède un des proches conseillers de Félix Tshisekedi. « C’est le prix du compromis », ajoute un autre. Mais pas seulement.

En fait, il faut se rapprocher de l’entourage de l’ex-président Joseph Kabila pour commencer à disposer des premiers éléments justificatifs de la nomination de Sylvestre Ilunga. Après des échanges notamment avec ceux qui participent aux tractations en cours avec le Cap pour le changement (Cach) de Félix Tshisekedi et de son allié Vital Kamerhe, on apprend que le clan katangais, surtout les Balubakat dont est issu Joseph Kabila par son père, n’a cessé de revendiquer une « compensation » après avoir « perdu la présidence » de la République. Et ces revendications remontent à la désignation par Joseph Kabila d’Emmanuel Ramazani Shadary, originaire du Maniema, comme candidat à la présidentielle. Les mécontentements ont commencé là, la grogne aussi.

Même si Joseph Kabila n’a jamais été un président des Balukat – il ne parle d’ailleurs pas le kiluba et n’a jamais vécu chez eux -, l’influence de cette ethnie prend une nouvelle ampleur depuis qu’il n’est plus officiellement au pouvoir. Pour que ses acolytes gardent leurs rangs, Joseph Kabila leur a alors promis de propulser un Lubakat chef du prochain gouvernement. En filigrane : l’idée d’avoir quelqu’un qui pourrait préserver leurs privilèges et autres avantages, comme ils le souhaitent. Promesse rendue possible après l’écrasante victoire du Front commun pour le Congo (FCC), dont Joseph Kabila est « autorité morale », aux dernières élections législatives très décriées.

Il ne restait plus qu’à trouver l’oiseau rare. En occurrence, le Lubakat qui aurait également l’assentiment du nouveau président, Félix Tshisekedi. Comme nous l’avons expliqué la semaine dernière, l’exercice n’a pas été aisé tant des raisons implicites compliquaient l’équation. Après plusieurs atermoiements et des désaccords, un nom a finalement émergé : Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Dans le rôle du souffleur : Me Norbert Nkulu (lui-même Lubakat), ancien conseiller de Kabila, alors chef de l’Etat, et actuel membre de la Cour constitutionnelle par la volonté de Joseph Kabila. D’après plusieurs sources proches de ces négociations, ce fin stratège fait en effet partie de ceux qui ont proposé à Kabila le nom de Sylvestre Ilunga, après le refus de Félix Tshisekedi de nommer Albert Yuma, le patron des patrons congolais et administrateur général de la Gécamines.

La piste a ensuite été rapidement soutenue par Nyembo Shabani, le conseiller privé de l’ex-président. Kabila écoute et consulte beaucoup cet ancien gouverneur de la Banque du Zaïre sous Mobutu. Tous les deux – Norbert Nkulu et Nyembo Shabani – sont originaires de la province de Tanganyika, dans l’ex-Katanga, comme Sylvestre Ilunga et… Joseph Kabila. De quoi rassurer les défenseurs les plus acharnés de la préservation de la mainmise du clan katangais sur la gestion de l’État. Mais par ce choix, Joseph Kabila, lui, voudrait surtout garder intacte son influence sur les politiques et sécurocrates katangais, en se présentant comme celui qui essaie, malgré tout, de protéger leurs intérêts.

Pourquoi Kabila a adoubé Ilunga

L’enjeu pour Joseph Kabila, c’est aussi de rester la pièce maîtresse de la coalition entre le FCC et le Cach. C’est pourquoi il a adoubé un Premier ministre qui ne lui fera pas de l’ombre : il ne pouvait d’ailleurs jeter son dévolu que sur un soldat loyal – Albert Yuma, Jean Mbuyu, … – ou sur une personne politiquement moins influente qu’il pourrait contrôler, sans peur de se faire dribbler. Car toute connivence entre le futur Premier ministre et le nouveau président de la République nuirait à sa volonté de demeurer le maître du jeu politique. Sylvestre Ilunga paraît obéir à ce profil.

Si ce professeur de l’Université de Kinshasa, docteur en sciences économiques, ne peut être considéré comme un proche et fidèle collaborateur de Joseph Kabila, il remplit néanmoins les autres critères recherchés par l’ « autorité morale » du FCC : être lubakat, susceptible de faire consensus et, surtout, disposé à jouer le jeu de l’ex-président. Technocrate et politiquement faible – il n’a jamais été à la tête d’un parti -, Sylvestre Ilunga ne sera qu’un exécutant des instructions du chef de sa famille politique.

Une situation bien inconfortable pour le nouveau chef du gouvernement à venir. Bien qu’encarté au Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), ex-parti présidentiel et membre du FCC, Sylvestre Ilunga n’a jamais été vraiment un militant et n’a jamais travaillé avec les présidents des formations politiques qui composent le FCC. Il s’exposera toujours à une motion de censure de la majorité parlementaire s’il tente de s’écarter de la ligne tracée par Joseph Kabila. Et, de l’autre côté, il ne doit pas non plus trop offusquer le président de la République qui détient le pouvoir de « [mettre] fin à ses fonctions », conformément aux dispositions de l’article 78 alinéa 1 de la Constitution*. Ouvrant ainsi la voie à une crise politique entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi.

Présidence de la RDC

Dans ces conditions, pour ne pas faire long feu, Sylvestre Ilunga devra être équilibriste. Le nouveau Premier ministre sera ainsi contraint de donner satisfaction à la fois à Joseph Kabila et à Félix Tshisekedi. La tâche s’annonce hardie et des frictions paraissent inévitables. Surtout si l’actuel chef de l’État pousse le prochain gouvernement à s’intéresser aux intérêts économiques amassés ces 18 dernières années par la famille biologique et politique de son prédécesseur.

Sylvestre Ilunga peut-il relever le défi ?

Aux difficultés qui s’annoncent pour Sylvestre Ilunga, il convient d’ajouter des hommes qui formeront son gouvernement. D’autant que ce n’est pas lui qui les choisira. Il pourra, à la rigueur, récuser un ou un autre proposé pour présomption d’incompétence. Des noms des ministres sont en effet en discussion entre le FCC et le Cach. Et il n’a jamais participé à ces tractations.

Sans lui, une « clé de répartition » semble même avoir été trouvée, selon des sources proches des deux regroupements politiques. Sauf ajustements de dernière minute, le camp de Joseph Kabila, majoritaire à l’Assemblée nationale, se taille la part de lion : 10 % du nombre global des membres du gouvernement pour son chef (idem pour Félix Tshisekedi) et 80 % du reste au FCC. Ce dernier aurait même réussi à conserver quelques ministères régaliens. Des débats se cristalliseraient désormais autour du ministère de la Défense que le FCC réclame à Cach, prétextant que son coalisé dispose déjà de la présidence du Conseil supérieur de la défense à travers le président de la République.

Sylvestre Ilunga, lui, attend que les violons s’accordent. Mais, à en croire plusieurs indiscrétions au sein du FCC, les derniers réglages ne pourraient intervenir qu’après l’installation du bureau définitif du Sénat. Cela permettrait ainsi d’identifier clairement les provinces du pays sous-représentées au sein des institutions et qui mériteraient des portefeuilles importants. Suivant cette grille de représentation géopolitique nationale, pour l’instant, le Kasaï dispose de la présidence de la République, l’Équateur a vu sa fille porter à la tête de l’Assemblée nationale et le Katanga débarque à la primature.

Mais, en attendant, beaucoup s’interrogent déjà sur la capacité du Premier ministre nommé à insuffler une nouvelle dynamique dans la gestion des affaires publiques. Ses détracteurs le reprochent surtout de n’avoir pas pu transformer la SNCC en un opérateur performant et viable tout au long de son mandat à la tête de cette entreprise publique en difficulté. Bien au contraire. Alors, sera-t-il à la hauteur à la tête du gouvernement ? Surtout dans ce contexte où le centre du pouvoir se dispute encore, en sourdine, entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila.

*Sur présentation par le Premier ministre de la démission du gouvernement.

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