Une proposition de révision de la Constitution a été déposée, le 19 août, au bureau de l’Assemblée nationale. Mais pour aboutir, son chemin reste long, ses enjeux complexes et multiples.
La proposition traînait depuis plusieurs mois dans les tiroirs d’Envol. Le 19 août, la formation politique de Delly Sesanga, l’un des députés les plus prolifiques de ces dernières années, a décidé de franchir le pas. Deux de ses élus, Jean-Marc Mambindi et Simon Mulamba, respectivement secrétaire général et secrétaire général adjoint du parti, ont signé et soumis au bureau de l’Assemblée nationale une proposition de révision constitutionnelle. Décidément, il semble aujourd’hui bien loin le temps de « touche pas à ma Constitution ». Presque toute l’élite politique y consent désormais.
Toute initiative visant à réviser la Loi fondamentale congolaise a été longtemps perçue comme une manœuvre politicienne pour permettre à Joseph Kabila, alors président de la République, de se maintenir indéfiniment au pouvoir, au-delà de ses deux quinquennats constitutionnels. Entre 2015 et 2016, l’opposition et la société civile craignaient en effet que Joseph Kabila, arrivé à terme de ses deux mandats électifs, ne fasse sauter le verrou de l’article 220 de la Constitution. Une disposition qui interdit formellement toute modification qui toucherait entre autres à « la forme républicaine de l’Etat », au « principe de suffrage universel », à la « forme représentative du gouvernement », au « nombre et [à] la durée des mandats du président de la République ». Même si Joseph Kabila a fini par se retirer, après un « glissement » qui a duré 48 mois, le sujet reste très sensible, le terrain glissant. C’est pourquoi, au sein d’Envol, l’on prend des précautions d’usage. Des cadres du parti s’empressent de préciser que l’objectif de leur proposition ne consiste nullement à remettre en cause cet article intangible. Au contraire. Envol dit vouloir « consolider la démocratie ».
Réviser, oui mais quoi et avec qui ?
« En responsables politiques, nous avons diagnostiqué notre Constitution [promulguée le 18 février 2006 telle que modifiée le 20 janvier 2011]: elle comprend des points forts, mais aussi des failles. Nous devons nous atteler à régler les faiblesses que nous avons identifiées », explique au Groupe d’étude sur le Congo (GEC) Me Nicolas Lenga, porte-parole d’Envol. « La philosophie de notre réforme consiste à préserver les acquis, c’est-à-dire tout ce qui a plus ou moins bien fonctionné, et à corriger des imperfections », complète le leader du parti, Delly Sesanga. Une trentaine d’articles sont concernés, du fait surtout de la « mise en harmonie nécessaire » qui en découlerait.
Parmi les modifications contenues dans la proposition d’Envol, il y a l’épineuse question de l’exclusivité de la nationalité congolaise.« Une notion dépassée qui empêche les Congolais ayant acquis une nationalité étrangère de revenir participer sereinement au développement socio-économique de leur pays », selon Me Nicolas Lenga. A la place, les auteurs de la proposition suggèrent l’introduction de la double nationalité pour les Congolais d’origine, mais « avec certaines limites pour les binationaux : ils ne pourront par exemple pas accéder à certains postes de responsabilité ». Ils proposent également que le scrutin présidentiel, organisé à un tour depuis la révision de 2011, « repasser à deux tours » et que des sénateurs soient élus au suffrage universel direct, à l’instar des députés », apportant ainsi, selon eux, « une solution au problème de la corruption des députés provinciaux lors des sénatoriales ».
Encore faudra-t-il que la proposition d’Envol soit portée par au moins 250 députés sur les 500 que compte l’Assemblée nationale. L’article 218 de la Constitution stipule en effet que l’initiative de la révision constitutionnelle appartient, entre autres, « à chacune des chambres du Parlement à l’initiative de la moitié de ses membres ». Nuance : chaque député peut introduire une proposition, suivant la procédure prévue pour une loi ordinaire. Ce fut déjà le cas lors de la révision constitutionnelle de janvier 2011, sur proposition notamment du député Christophe Lutundula. Ce n’est qu’après cette étape qu’une proposition de révision constitutionnelle devra recueillir l’assentiment de la moitié des élus et, le cas échéant, être « soumise à l’Assemblée nationale et au Sénat qui décide[ront], à la majorité absolue de chaque chambre, [de son] bien fondé ».
A la veille de son voyage à Paris le 26 septembre, Delly Sesanga a rencontré Jeanine Mabunda, président de la chambre basse du Parlement, pour en discuter. « Je suis passé lui rappeler l’intérêt qu’il y a à accorder à la révision constitutionnelle l’urgence et le temps nécessaire », nous explique-t-il à son arrivée dans la capitale française. Pour lui, « le niveau de la crise est tel que, pour la résoudre et baliser le chemin vers 2023 [année de la prochaine présidentielle], il faut impérativement toucher à la Constitution ». Pour ce faire, le leader d’Envol a prévu également de rencontrer les opposants Jean-Pierre Bemba, à Bruxelles, et Moïse Katumbi pour tenter de les convaincre de l’utilité de sa démarche. La mission se présente toutefois délicate lorsqu’on sait combien le second était radicalement opposé, ces dernières années, à la modification ou au changement de la Constitution. D’ailleurs, Delly Sesanga, de surcroît secrétaire général d’Ensemble, reconnaît des « divergences d’approche » sur ce sujet avec le leader de son regroupement politique. Mais il ne désespère pas. Car, estime-t-il, « la meilleure stratégie, c’est l’attaque : l’opposition doit prendre les devants et fixer le cap ainsi que les limites à ne pas dépasser ».
Qu’en pense le camp Kabila ?
D’autant que, dans le camp de Joseph Kabila, ce sera sûrement l’occasion de s’inviter dans ce vieux débat qu’il a essayé, en vain, d’initier ces quatre dernières années. Et le Front commun pour le Congo (FCC), plateforme de l’ancien président, détient une écrasante majorité à l’Assemblée nationale. Pourrait-il alors se joindre au parti de Delly Sesanga dans cette démarche ? « Nous n’avons pas à nous joindre ni à soutenir cette proposition, mais nous nous réjouissons que les gens soient enfin redescendus sur terre », répond au GEC Néhémie Mwilanya Wilondja, coordonnateur du FCC. « Nous, nous avons toujours dit que cette Constitution devrait être revisitée. C’est l’opposition qui nous rejoint finalement aujourd’hui, après nous avoir longtemps diabolisés sur cette question. Il y a enfin convergence sur le principe selon lequel il est nécessaire et opportun de mener des réformes constitutionnelles. Celles-ci s’imposent pour récréer l’Etat », poursuit l’ancien directeur de cabinet de Joseph Kabila, alors président de la République. « Ce sera donc un débat démocratique : projet contre projet », prévient l’élu de Fizi.
Autrement dit, le FCC concocte son propre projet des réformes constitutionnelles. Mais, pour l’instant, il n’est pas question de dévoiler ses cartes. Jusqu’où ira-t-il ? Sûrement bien au-delà de la proposition portée par des députés d’Envol. Dans le camp de l’ancien président, l’on a cessé de se plaindre du coût exorbitant du processus électoral. Des mécanismes pour alléger le budget électoral seraient déjà à l’étude, un scrutin présidentiel au second degré envisagé (par des Parlementaires et/ou un corps électoral élargi). Le pays avait déjà recouru à ce mode de scrutin à la veille de son accession à l’indépendance, en 1960. Sans grand succès, mais avec une crise au sommet de l’Etat entre le président Joseph Kasa Vubu et le Premier ministre Patrice Emery Lumumba. Doit-on retenter l’expérience ? « Nous avons géré la RDC et nous sommes naturellement les premiers à savoir où se trouvent des goulots d’étranglement qui empêchent la machine institutionnelle de fonctionner normalement, tant au niveau national qu’au niveau de nos provinces », lâche simplement Néhémie Mwilanya Wilondja.
Nos échanges avec quatre autres caciques du camp Kabila laissent entrevoir que le projet des réformes constitutionnelles du FCC pourrait s’étendre sur d’autres questions bien sensibles, notamment la limite du nombre des mandats présidentiels, une nouvelle répartition des attributions entre le pouvoir central et les provinces. En tout cas, « chez nous, il n’existe pas de fétichisme sur les réformes constitutionnelles (…). Mais quand nous écoutons les autres sur ce sujet, on dirait que la Constitution congolaise est descendue du ciel, qu’elle est une tente dressée pour que les Congolais y vivent éternellement et qu’elle ne serait pas le fruit d’un consensus entre les hommes », dénonce l’un de nos interlocuteurs. Ce dernier assure toutefois que « si des réformes constitutionnelles doivent passer, elles le seront sur base d’un consensus ».
En attendant, « il n’y a pas encore eu de discussion sur la question au sein de notre famille politique », tempère un ancien ministre influent sous Kabila, aujourd’hui sénateur. Pour lui, « d’autres questions sont aujourd’hui plus urgentes qu’une éventuelle révision constitutionnelle, à l’instar du budget de l’Etat : si celui-ci campe autour de deux milliards de dollars [en ressources propres], le pays ne s’en sortira pas ». Se revendiquant d’un « courant discret » au sein du FCC, un autre cadre du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), parti de Joseph Kabila, estime de son côté que « des courtisans et autres affairistes autour de [leur] chef se trompent d’analyses, en privilégiant une approche institutionnaliste : des réformes ne peuvent suffire à façonner la société et reconquérir la magistrature suprême ». Allusion à une certaine idée soutenue par quelques tauliers du FCC, selon laquelle Joseph Kabila aurait plus de facilités à se faire élire président de la République, en 2023, grâce à un scrutin au second degré. « Faux ! Il suffit de se rappeler de l’échec de Lambert Mende [ancien porte-parole du gouvernement et candidat gouverneur de province] au Sankuru », prévient-il, appelant sa famille politique à « s’inscrire plutôt dans des actions positives destinées à améliorer les conditions des Congolais ».
Réformer le pays autour d’une table ?
Dans l’entourage de Martin Fayulu, l’on suit également de près la résurgence de ce débat autour d’une éventuelle révision constitutionnelle. Ici, beaucoup auraient souhaité que des réformes institutionnelles et démocratiques soient conduites par leur champion. Directeur de cabinet de l’opposant qui continue à revendiquer sa victoire à la présidentielle du 30 décembre 2018, Jean-Claude Mwalimu estime par ailleurs que, « fondamentalement, le problème du Congo est celui des hommes et non des textes ».
« La Constitution dit par exemple que les provinces doivent retenir à la source 40 % de leurs recettes à caractère national ; mais le pouvoir central a refusé d’appliquer cette disposition. La même Constitution stipule aussi que le scrutin présidentiel est convoqué 90 jours avant l’expiration du mandat du président en exercice ; mais cela n’a pas été fait ». Dans ce contexte, « il ne faut surtout pas que les bénéficiaires de la forfaiture – des résultats controversés des dernières élections – soient ceux qui conduisent le pays vers des réformes. Si c’est le cas, ces réformes ne leur serviront qu’à conserver le pouvoir », prévient-il, soulignant « la nécessité de se mettre d’abord autour de la table pour dire ‘plus jamais ça !’» L’invitation recevra-t-elle un écho favorable ?