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Politique nationale
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Quelle politique extérieure de la RDC derrière les voyages de Félix Tshisekedi ?

Au-delà de la polémique sur les multiples voyages du président congolais, que va chercher Félix Tshisekedi à l’étranger ? Décryptage des axes de la (nouvelle) politique extérieure de la RDC.


Pas moins de 31 voyages en dehors du pays en onze mois. Visites officielles, conférences, panels, forums… Depuis qu’il est arrivé aux affaires fin janvier, Félix Tshisekedi a déjà passé plus d’un mois dans les avions. Tenez, parmi les neuf pays limitrophes de la RDC, seul le Soudan du Sud n’a encore vu atterrir sur son sol le VistaJet Bombardier ou l’un des appareils de la flotte de Qatar Executive qu’affrète le nouveau chef de l’État congolais. « Ça ne saurait tarder : le président s’était engagé à se rendre dans tous les États voisins », nous confie un de ses collaborateurs quelques heures avant de s’envoler, le 1er décembre, pour la Centrafrique.

La fréquence de ces voyages est telle qu’elle commence à soulever des interrogations dans l’opinion publique congolaise sur l’utilité de tous ces périples présidentiels hors du territoire national. « À ceux-là, je leur dis qu’on a déjà ramené plus d’un milliard et demi [de dollars]  grâce à ces voyages. Des voyages qui n’ont même pas coûté 50 millions de dollars », a rétorqué mi-novembre Félix Tshisekedi devant la communauté congolaise, en marge du Forum de Paris sur la paix.

Axe 1 : l’argent

Mais si ce montant avancé représente plus des promesses de divers partenaires que de nouveaux appuis financiers concrets, Félix Tshisekedi a dévoilé là l’un des axes majeurs de son positionnement stratégique : la quête de fonds. Pour mettre en application son programme de gouvernement à 20 piliers, en coalition avec le camp de son prédécesseur Joseph Kabila, le nouveau président recherche avant tout de l’argent. D’autant que le budget 2020 du pays a été brusquement réévalué à 10 milliards de dollars. Il était estimé à 5,9 milliards de dollars pour l’exercice en cours. Un choix politique loin d’être réaliste quand l’on connaît les défis auxquels la RDC est confrontée et ses difficultés à mobiliser les recettes internes.

D’ailleurs, Philippe Egoume, représentant du Fonds monétaire international (FMI), l’a rappelé lors d’une conférence de presse à Kinshasa : « Il est très rare qu’un pays puisse augmenter ses revenus de 50 à 60% d’une année à l’autre (…) Nous pensons qu’il existe un certain nombre de mesures pour augmenter les revenus qui pourraient générer 1 à 2% du PIB, donc entre 500 millions et 1 milliard de dollars. Ce sera peut-être plus si des réformes plus importantes sont faites. Mais cinq milliards, c’est beaucoup ! » Un député proche de Félix Tshisekedi, qui suit ce dossier de près, a avoué également au Groupe d’étude sur le Congo (GEC) qu’« un correctif budgétaire » pourrait intervenir « entre janvier et février 2020 » pour revoir à la baisse ces « prévisions intenables ».

Dans l’entourage de Félix Tshisekedi, conseillers, ambassadeurs itinérants ou autres représentants du chef de l’État, consultés par le GEC, reconnaissent aussi l’impasse. « C’est pourquoi, aujourd’hui, nous n’avons pas d’autre alternative que celle de nous aligner sur le ‘consensus de Washington’ », nous explique l’un d’entre eux. Ce très proche collaborateur du président de la République fait allusion aux négociations engagées avec le Fonds monétaire international en vue de parvenir à un programme formel avec l’institution financière internationale. Ce qui pourrait alors déclencher les aides financières de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement (BAD) et d’autres partenaires bilatéraux. À l’en croire, un « programme intérimaire » avec le FMI « pourrait être validé le lundi [16 décembre] par son conseil d’administration et s’étendrait jusqu’à mai ou juin ». En retour, le pays doit engager des réformes en matière de gouvernance. Cela passe notamment par des mesures concrètes de lutte contre la corruption qui persiste, comme l’a encore relevé, le 9 décembre, le Conseil de l’Union européenne dans ses conclusions sur la RDC.

Au sein de l’UE, voire au-delà, « personne n’a intérêt à affaiblir Félix Tshisekedi, nous dit un ambassadeur occidental basé à Kinshasa. Alors, pour l’instant, nous l’épargnons sur des dossiers où nous aurions eu beaucoup de critiques sous Joseph Kabila. C’est le cas par exemple de l’affaire dite des 15 millions de dollars détournés. Mais, jusqu’à quand allons-nous le soutenir ? A un moment donné, il en ira également de notre crédibilité », prévient le diplomate. Selon lui, l’Europe serait même aujourd’hui prête à suivre Félix Tshisekedi dans son choix de « ne pas fouiner » dans la gestion décriée de son prédécesseur si le nouveau président s’engage à « lutter véritablement contre la corruption » durant son quinquennat.

© Twitter/Présidence RDC

Axe 2 : le repositionnement régional et la pacification de l’Est

Prônant une politique étrangère d’ « ouverture », Félix Tshisekedi ne tend seulement pas la main aux partenaires traditionnels de la RDC. Il a déjà été en Russie, et en Serbie, et « a prévu de se rendre en Chine », complète l’un de ses ambassadeurs itinérants. Selon ce dernier, « c’est l’objectif principal » de tous ces voyages du président congolais : « Rétablir un meilleur équilibre géopolitique des intérêts » des uns et des autres. « Telle est la vocation de notre pays dès sa création », soutient-il. Mais cette stratégie d’ouverture tous azimuts ne passe pas partout.

Dans la sous-région par exemple, où la stabilité régionale et la recherche de la solution à la crise sécuritaire dessinent peu à peu les contours d’un autre axe de la politique étrangère de Félix Tshisekedi, il y a eu un raté mémorable. Malgré le réseau développé par Fortunat Biselele, l’incontournable conseiller privé de Félix Tshisekedi, la fausse bonne idée d’inviter tous les pays voisins (Burundi, Rwanda, Ouganda, Tanzanie, …) à intégrer un « état-major régional intégré » a très rapidement fait pschitt. L’initiative a été confrontée à la fois aux réticences de Kampala, mais aussi au veto de la Communauté de développement des États de l’Afrique australe (SADC). Il n’est cependant pas exclu que le dispositif initial se transforme à un cadre de concertation et d’échange d’informations sur l’état de la menace dans la région.

À vrai dire, des responsables de l’armée, restés loyaux à Joseph Kabila, n’y ont jamais cru. Trois de ceux que nous avons interrogés estiment que la RDC a plutôt « intérêt à se tourner vers la SADC [Communauté de développement de l’Afrique australe]» pour constituer une nouvelle brigade – non dépendante de la Monusco – qui remplacerait l’actuelle Brigade d’intervention des Nations unies. En filigrane s’affrontent ici également deux visions différentes de l’intégration régionale au sommet de l’État congolais : d’un côté, le président Félix Tshisekedi qui souhaite voir la RDC devenir le 7e pays membre de la Communauté d’Afrique de l’Est, aux côtés notamment du Rwanda, de l’Ouganda et du Kenya dont il paraît proche, de l’autre, Joseph Kabila, son prédécesseur, qui tient à maintenir le pays dans le giron de la SADC, aux côtés entre autres de l’Angola et de l’Afrique du Sud.

Félix Tshisekedi et Paul Kagame, le 8 décembre 2019, au Kusi Ideas Festival, à Kigali. © Flickr/Paul Kagame

Mais cet échec de la mise en place d’un « état-major régional intégré » ne doit pas obscurcir « la nouvelle dynamique de coopération » qui se déploie dans les Grands-Lacs, insiste-t-on dans l’entourage du chef de l’État congolais. « Félix Tshisekedi a réussi à emmener ses homologues à jouer un jeu constructif dans la conjonction d’intérêts économiques, loin des conflits et des prédations, en essayant de dépasser les rancœurs et les souvenirs du passé », argumente le diplomate congolais.

Axe 3 : le rééquilibrage des rapports de force à l’intérieur du pays

Qu’à cela ne tienne, le soutien apparent de la communauté internationale engrangé par Félix Tshisekedi, notamment lors de ces voyages à l’étranger, pourrait également lui permettre d’infléchir, tant soit peu, les rapports de force qui lui sont défavorables au sein de la coalition au pouvoir. C’est en effet son « partenaire de l’alternance », Joseph Kabila, et le Front commun pour le Congo (FCC) qui contrôlent l’essentiel des institutions de la République.

« Même des caciques de la famille politique de l’ancien président, voire des officiers de l’armée, savent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de composer avec Félix Tshisekedi. N’est-ce pas lui qui a plaidé en faveur de l’atténuation des sanctions européennes contre des proches de Joseph Kabila ? » avance ainsi un député proche du chef de l’État. Le 9 décembre, Lambert Mende et Roger Kibelisa, respectivement ancien ministre des Médias et ancien chef du département de la sécurité intérieure de l’Agence nationale de renseignements (ANR), ont bénéficié de la levée des mesures individuelles restrictives prises à leur encontre par l’UE. Mais cet assouplissement n’a pas concerné 12 autres proches de l’ancien président Joseph Kabila, maintenus sur la liste des sanctions européennes.

« Dans la politique extérieure du président, le rééquilibrage éventuel de rapports de force n’est pas un objectif en soi. Il en sera sans doute l’une des conséquences », décrypte un autre membre de l’entourage de Félix Tshisekedi. Mais, « rassurez-vous, le président voyagera moins l’année prochaine », promet l’un des assistants.

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