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Politique nationale
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Guerre d’influence : jusqu’où Tshisekedi et Kabila sont-ils prêts à aller ?

Depuis quelques mois, l’échiquier politique congolais est devenu le théâtre d’une guerre d’influence entre le FCC de Joseph Kabila et le Cach de Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe. Quels en sont les enjeux ?


Qu’est-ce qui s’est passé ce soir du 30 janvier à l’aéroport de N’Djili ? Tout Kinshasa a entendu parler de l’incident : “dada” Jaynet, la très influente soeur jumelle de l’ancien président Joseph Kabila interpellée par les services de la Direction générale de migration (DGM). Derrière cette nouvelle inédite qui se propage d’abord de bouche-à-oreille, puis dans des groupes WhatsApp avant d’être reprise par des médias, un message à faire passer : c’est le début de la fin des privilèges des dignitaires du système politique précédent. Vraiment ? En tout cas, c’est ce que veulent croire alors les partisans du nouveau chef de l’État, Félix Tshisekedi.

Dans les faits, “Jaynet Kabila n’a jamais été interpellée” ce soir-là, jure un très proche collaborateur de Joseph Kabila, consulté par le Groupe d’étude sur le Congo (GEC). Il dénonce une “désinformation” concoctée par le Cap pour le changement (Cach), regroupement du président Félix Tshisekedi et de son directeur de cabinet, Vital Kamerhe, en coalition pourtant avec le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila. Contacté, un cadre du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), formation politique de l’ex-président de la République, abonde dans le même sens. À l’en croire, si un incident a bien eu lieu ce 30 janvier à l’aéroport, “il ne s’agissait pas d’une interpellation”. “L’agent de DGM avait exigé tout simplement la présence physique de ‘dada’ au moment des formalités de voyage”, rectifie-t-il. On ne saura sans doute jamais ce qui s’était réellement passé. Même si l’opinion, elle, semble n’avoir retenu que la première version. Synonyme, pour beaucoup, de l’affirmation (souhaitée par eux) de Félix Tshisekedi comme le seul chef de l’État.

Quand Tshisekedi veut avoir plus de pouvoirs

La démarche ici consiste à essayer de démentir l’idée que beaucoup se font de Félix Tshisekedi, celle d’un “président protocolaire” et sans réels pouvoirs. Félix Tshisekedi a en effet été proclamé, officiellement, vainqueur de la présidentielle du 30 décembre 2018, mais son parti, l’UDPS, sans ses alliés, n’a pas pu remporter qu’une trentaine de sièges sur les 500 que compte l’Assemblée nationale. Aussi, la formation politique présidentielle ne contrôle qu’une province sur 26.

« Félix Tshisekedi veut malgré tout être président comme l’ont été ses prédécesseurs »

Depuis des décennies pourtant, les Congolais ont été habitués à voir un chef de l’État avec les pleins pouvoirs. Il en a été ainsi de Mobutu Sese Seko, de Laurent-Désiré Kabila et de Joseph Kabila. Même si le pouvoir de ce dernier était assez fragmenté – rebellions armées, dissidences internes, manifestations dans les rues, … -, il a conservé tout de même, durant ces 18 ans de règne et à l’issue des dernières législatives, une écrasante majorité au Parlement et une mainmise sur les provinces et l’appareil sécuritaire. Ce qui prive d’ailleurs aujourd’hui son successeur de cette stature de président disposant des moyens de sa politique.

“Mais Félix Tshisekedi veut malgré tout être président comme l’ont été ses prédécesseurs : ce n’est pas possible !” tonne un conseiller de Kabila qui brandit l’article 91 de la Constitution. Une disposition qui charge le gouvernement (dirigé par un Premier ministre FCC) de définir la politique de la nation, “en concertation avec le président de la République”. “Faut-il rappeler qu’en vertu de notre Constitution, le président ne peut signer seul que quatre ordonnances – celles nommant son cabinet et le Premier ministre ainsi que celles relatives à la déclaration de guerre et à l’élévation aux ordres nationaux – et qu’un contreseing du Premier ministre est exigé pour toutes les autres ordonnances ?” poursuit notre interlocuteur.

Mais, peu importe. Dans sa rhétorique, le nouveau président ne cache plus sa volonté de s’affirmer. À Londres, devant les Congolais de la diaspora venus l’écouter le 19 janvier, Félix Tshisekedi a laissé entendre que lui, seul, disposait du “bic rouge”, allant jusqu’à évoquer l’éventualité de dissoudre l’Assemblée nationale, le cas échéant. Ce qui a provoqué la colère de ses partenaires de coalition, le menaçant à leur tour des poursuites pour haute transition s’il osait passer à l’acte.

Une coalition dans la tourmente et sous pression

De leur côté, des soutiens du nouveau chef de l’État n’ont jamais cessé de pousser ce dernier à s’émanciper de son coalisé, soupçonné d’être un blocage à la bonne gouvernance et à la mise en oeuvre d’une politique de lutte contre la corruption. Parmi les plus virulents sur ce terrain : les États-Unis d’Amérique. Par la bouche de Peter Pham, son envoyé spécial dans la région des Grands Lacs, Washington va en effet jusqu’à exiger de Kinshasa la mise à l’écart de certains généraux (Gabriel Amisi Kumba, John Numbi et Delphin Kahimbi).

La Belgique n’est pas en reste. Lors de la récente visite de haut-niveau des autorités belges à Kinshasa, le “message principal” a consisté à rappeler à Félix Tshisekedi une chose : Bruxelles ne peut le soutenir que s’il y a des “réformes profondes”, indique au GEC une source diplomatique.

Visiblement, 13 mois après l’investiture du nouveau président, les promesses de changement ne suffisent plus. Surtout lorsque les nouveaux dirigeants sont aussi soupçonnés de détournements de fonds publics et de mauvaise gouvernance. Voilà Félix Tshisekedi pressé de s’assumer. Mais l’éternelle question de marges de manoeuvre se pose : a-t-il les moyens, voire la volonté, de faire bouger les lignes ? Oui ! répond en choeurs son entourage. Preuve : “N’est-ce pas que le président a décidé de reprendre une partie de stocks d’artilleries qui se trouvaient à la résidence privée de Joseph Kabila ?” avance un lieutenant de Félix Tshisekedi. Un retrait opéré tout de même une année après l’investiture du nouveau président.

Et “ce n’était que de l’artillerie légère placée à GLM à la veille des élections”, tente de minimiser un proche de l’ancien président. Traduction : Joseph Kabila n’en a pas été ébranlé et conserve toute son influence. “Joseph Kabila va bien et se trouve chez lui, à GLM”, poursuit-il, soulignant que le retrait de ces engins a été décidé “en accord avec le ‘Raïs’ [Joseph Kabila] et le Premier ministre [Sylvestre Ilunga]”.

“Il y a tout de même un malaise au sein de la coalition”, admet un haut-cadre du FCC. Dans la famille politique de Joseph Kabila, l’on dénonce même des “provocations” de la part de leur allié Cach. Sur la liste plusieurs griefs : des soucis de passeport qu’a connus Emmanuel Ramazani Shadary (le candidat malheureux de la dernière présidentielle a fini par avoir un nouveau passeport diplomatique en tant que époux d’une députée national), des soupçons de “déstabilisation” du pays qui pèseraient sur Kalev Mutondo, l’ex-numéro un du redoutable Agence nationale de renseignement (ANR) sous Kabila, l’affaire dite des “200 millions” de la Gécamines dans laquelle serait impliqué Albert Yuma, argentier de la Kabilie, interdit de quitter le territoire national, … “Jugez-en vous mêmes au regard des engagements démocratiques souscrits par les uns et les autres”, nous suggère sur WhatsApp un autre responsable politique du FCC, qui suit de près le dossier, s’abstenant de s’étendre sur le sujet. Laissant entendre que l’accord entre le FCC et le Cach relatif à la constitution de l’actuelle coalition au pouvoir serait basé sur les principes démocratiques et le respect des textes légaux, lesquels ne seraient plus respectés par le Cach, selon son partenaire.

Incidences sur le partage du gâteau ?

En tout cas, cette situation n’est pas sans conséquences sur les négociations en cours en vue du partage des responsabilités au sein des entreprises du portefeuille de l’État. “Nous avons tout de même avancé : nous avons bouclé la répartition pour 11 entreprises. Il ne reste qu’à proposer des noms de leurs futurs gestionnaires”, se félicite un cadre du PPRD. Comme lors de la formation du gouvernement, le FCC pourrait disposer d’une large part de gâteau : on parle de 65 % de futurs mandataires. Ce qu’aucun délégué aux tractations en cours n’a voulu confirmer ni infirmer au GEC.

Une source au sein du camp du président Félix Tshisekedi estime par exemple que tant que les ordonnances ne sont pas publiées, le travail n’est “pas finalisé”. Il appelle alors à la “patience”. D’autant qu’il reste encore plusieurs autres secteurs de responsabilité à se partager entre coalisés au pouvoir : nomination de nouveaux animateurs de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et affectation des ambassadeurs. D’autres âpres marchandages qui attendent Félix Tshisekedi.

Pour lui permettre de gagner en influence, l’idée de proposer une révision de l’article 91 de la Constitution ferait désormais partie des tractations. Sans majorité à l’Assemblée nationale, le Cach voudrait convaincre le FCC, “pour le bon fonctionnement de la coalition”, d’accepter le renforcement des pouvoirs du président de la République. Mais pas sûr que le camp Kabila ne l’entende de cette oreille. Visiblement, la guerre d’influence ne fait que commencer. La coalition en survivra-t-elle ?

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