Cela ressemble à du déjà-vu. Au cours de la semaine dernière, la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), jusque-là en sommeil, est passée à l’attaque, prenant le contrôle de la cité frontalière de Bunagana, de plusieurs villages environnants et avançant à portée de frappe de la ville de Rutshuru. Quelque 24 000 personnes ont fui de l’autre côté de la frontière vers l’Ouganda, et beaucoup d’autres ont cherché refuge localement. Pour aggraver les choses, un hélicoptère appartenant à la mission de maintien de la paix de l’ONU a été abattu lors d’une mission de reconnaissance, tuant les huit personnes à bord, la plus grande perte de vie pour la Monusco depuis 2018.
Comment est-il possible que le M23, qui avait été vaincu en 2013, avec ses troupes restantes confinées dans des camps en Ouganda et au Rwanda, fasse de nouveau la une des journaux ?
Nous ne devrions pas être complètement surpris. En janvier 2017, à la suite du blocage des négociations entre le gouvernement et le M23, certains combattants qui étaient restés dans des camps militaires en Ouganda ont traversé la frontière et lancé une attaque contre l’armée congolaise dans la même zone ; deux hélicoptères de l’armée congolaise étaient tombés pendant ces opérations dans des circonstances floues. Depuis lors, un groupe de combattants du M23, dirigé par Sultani Makenga, est basé sur les pentes du volcan Sabyinyo, à la frontière entre l’Ouganda, le Rwanda et le Congo.
Confrontations militaires entre les M23 et le gouvernement congolais entre 7 novembre 2021 et 21 mars 2022
Puis, le 7 novembre 2021, ce groupe de combattants du M23 a commencé une série d’attaques qui conduit à l’imbroglio actuel. Ils ont lancé plusieurs assauts sur la route Rutshuru-Bunagana, apparemment dans le but de s’emparer d’armes et de munitions des positions locales des FARDC. Enfin, au cours de la semaine écoulée, les éléments du M23 ont pris le contrôle des villages de Bunagana, Jomba, Chengerero et Rwanguba, tous situés à proximité ou sur la route entre la frontière ougandaise et la ville de Rutshuru.
Leur élan s’est arrêté lorsque l’armée ougandaise est entrée dans la cité frontalière de Bunagana le mardi 30 mars, sans doute dans le but de sécuriser le matériel de construction de routes appartenant à une société ougandaise. Au cours des deux jours suivants, le M23 a commencé à battre en retraite, permettant à l’armée congolaise de reprendre la route principale.
La situation évolue rapidement, mais des hypothèses sur la force motrice derrière cette résurgence peuvent être mises sur la table. Une hypothèse est qu’il s’agisse d’une initiative du M23 seul, qu’ils voient une opportunité avec le lancement du nouveau programme de démobilisation DDRCS au Congo. Ce groupe armé pourrait également essayer de faire pression sur le gouvernement afin que ce dernier revienne sur sa décision de ne pas intégrer les anciens rebelles dans l’armée nationale. En fait, beaucoup de discussions entre le gouvernement et le M23, y compris une délégation de rebelles qui a séjourné à Kinshasa en 2020-2021, n’ont pas abouti à trouver un accord pour leur retour. Cette impasse, ajouté au fait que beaucoup de leurs chefs sont toujours sous le coup des mandats d’arrêt (malgré la recommandation de Claude Ibalanky, l’envoyé du président Félix Tshisekedi dans la région, de leur accorder l’amnistie) ne donnerait guère d’autre choix à leurs dirigeants que de se battre ou de rester dans un exil morne.
Une autre possibilité, et le plus grand risque, est que les combats soient la manifestation de tensions régionales. Après tout, nous savons que le lancement d’opérations conjointes entre les armées ougandaise et congolaise contre les ADF en novembre 2021 a provoqué la colère des responsables à Kigali. La dispute la plus récente entre les deux pays remonte à 2019, lorsque le Rwanda a accusé l’Ouganda d’abriter des dissidents ; Kampala a allégué que le Rwanda espionnait et enlevait des personnes dans son pays. Il y avait d’autres contentieux, notamment la construction d’un chemin de fer et la concurrence sur les exportations d’or de l’est du Congo. À la suite de ces disputes, le Rwanda a fermé son passage frontalier critique avec son voisin à Gatuna.
Il n’y a pas encore de preuves solides sur un soutien rwandais aux éléments du M23. Mais il n’est pas difficile de trouver un motif : l’escalade du M23 a eu lieu après le déploiement des Ougandais dans l’est du Congo. Ces opérations militaires font partie d’un engagement ougandais plus large au Congo. Une autre partie est économique – le gouvernement ougandais a déclaré qu’il financerait la construction de 223 km de routes dans le but de renforcer les liens avec le Congo. L’un des principaux produits d’exportation de l’Ouganda, l’or (dont une grande partie provient du Congo) est désormais la plus grande source de devises étrangères du pays, et les gisements de pétrole que Kampala veut développer se trouvent des deux côtés de la frontière avec son voisin. Quelques sources du terrain pourraient soutenir cette thèse : des entretiens avec des diplomates suggèrent que les responsables rwandais ont été exaspérés par l’intervention ougandaise. Ces derniers jours, le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) et Ebuteli ont entendu de sources locales que le M23 pourrait effectivement avoir reçu un soutien transfrontalier du Rwanda.
Cette hypothèse demande cependant à être confirmée. Le Rwanda risquerait-il une telle conflagration avec la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth qui se tiendra à Kigali en juin ? Aussi, après des semaines de va-et-vient diplomatiques de la part de Muhoozi Kainerugaba, fils du président Museveni et commandant des forces terrestres ougandaises, les deux pays venaient de s’entendre pour rouvrir totalement le poste-frontière de Gatuna le 7 mars.
L’empressement à communiquer des diplomates étrangers et des responsables congolais n’a pas aidé à clarifier les choses. Le 28 mars, le général Sylvain Ekenge, porte-parole du gouverneur militaire du Nord-Kivu, a accusé le Rwanda de soutenir les rebelles, affirmant que deux soldats de l’armée rwandaise avaient été arrêtés lors des attaques : l’adjudant Jean-Pierre Habyarimana et le soldat de rang John Uwajeneza Muhindi. Selon Jeune Afrique, ces deux individus avaient été arrêtés avant la dernière tournure des événements, en février 2022. Ekenge a également accusé le M23 d’avoir abattu l’hélicoptère de la Monusco le 28 mars, avant qu’une enquête ne puisse être menée. Des fonctionnaires onusiens ont souligné en privé qu’eux-mêmes n’étaient pas encore sûrs de qui était responsable. Pourtant, plusieurs diplomates étrangers ont publié des déclarations faisant écho de l’affirmation d’Ekenge.
Une précipitation au jugement n’aidera pas la situation actuelle. Cependant, étant donné le risque d’un bouleversement régional, il est urgent d’examiner de près ce qui se cache derrière cette récente offensive. S’il y a une leçon à tirer de la crise du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et du M23, c’est celle-ci : nous ne devrions jamais supposer que nous savons ce qui serait logique ou dans l’intérêt de l’un de ces gouvernements.
Et ce déjà-vu a ses limites. Cette escalade risque de se dérouler de manière très différente de celle de 2012-2013. À l’époque, l’Ouganda et le Rwanda étaient globalement sur la même ligne ; aujourd’hui, ils ne le sont pas. Le M23 n’a pas non plus les mêmes réseaux dans l’armée congolaise auxquels il ferait appel : la rébellion de 2012 s’était appuyé sur des dizaines d’officiers mécontents des FARDC, qui ont fait défection avec des troupes et des armes. Aujourd’hui, ces réseaux ex-CNDP dans l’armée ont été largement démantelés.
Une chose est certaine : cette conflagration devrait susciter un regain d’intérêt pour une stratégie globale de sécurité et de stabilité à l’Est. Pour l’instant, ni les donateurs ni le gouvernement n’en disposent. Au lieu de cela, ils sont obligés de combattre les incendies, en éteignant qu’un avant de se confronter au suivant.