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Économie politique
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Les raisons de l’adhésion de la RDC à la Communauté des États d’Afrique de l’Est

Le chef de l’État kényan, Uhuru Kenyatta, président en exercice de la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC), a officialisé l’adhésion de la RDC comme 7e membre, lors d’un sommet extraordinaire en ligne des dirigeants des États membres organisé fin mars.

Alors, pourquoi la RDC a-t-elle souhaité rejoindre cette communauté composée principalement des pays anglophones et plus industrialisés qu’elle ? Quelle est la vision stratégique de la RDC dans cette démarche ?

Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de Po na GEC, la capsule audio qui tente d’éclairer l’actualité de la RDC. Je suis Jimmy Kande, chercheur en gouvernance à Ebuteli, le partenaire de recherche du Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New-York. Nous sommes le vendredi 22 avril et aujourd’hui nous nous intéressons à l’adhésion de la RDC à l’EAC.

Dès son arrivée au pouvoir en 2019, le président Félix Tshisekedi avait indiqué que l’un des objectifs de son mandat à la tête de la RDC serait l’intégration à ce bloc économique et commercial est-africain. L’objectif était de permettre à la RDC de bénéficier des avantages qu’offre une telle intégration sous-régionale, non seulement dans le cadre de la circulation des personnes et des échanges de biens, mais également dans les domaines sécuritaire et politique.

La RDC, deuxième pays d’Afrique en termes de superficie, au cœur du continent, est un territoire stratégiquement positionné avec neuf pays voisins et doté d’importantes ressources minérales. Elle partage des frontières avec tous les États membres de l’EAC, à l’exception du Kenya. Et elle représente une entrée de choix pour cette organisation, qui devrait désormais bénéficier d’une façade maritime sur la côte ouest de l’Afrique, via la ville portuaire de Banana.

La RDC est déjà membre de trois autres organisations commerciales régionales : la Comesa (Marché commun de l’Afrique orientale et australe), la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) et la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL). Pourquoi a-t-elle choisi d’adhérer à une autre organisation ? 

Premièrement, du point de vue économique et commercial, les provinces de l’est de la RDC sont plus souvent tournées vers les pays de l’Afrique de l’Est que sur le reste du pays. La plupart des biens de première nécessité sont donc importés du Rwanda, de l’Ouganda, de la Tanzanie et du Kenya. Il est dès lors important de faciliter ces échanges par la libre circulation des biens et des services qu’apporte cette adhésion.

Deuxièmement, l’enjeu sécuritaire dans l’est du Congo a certainement guidé le président Tshisekedi à solliciter cette adhésion. Cette partie de la RDC est en proie à des violences depuis plus de trois décennies sans qu’une solution viable n’ait été trouvée. Le gouvernement congolais veut alors jouer le pari des affaires : attirer plus d’investisseurs des pays de l’Afrique de l’Est en RDC en espérant que leurs États s’investissent également à promouvoir la paix et la sécurité dans cette partie de la RDC. 

L’accord signé cette semaine avec les pays de l’EAC pourrait être un pas dans cette direction. Il a été décidé qu’une force régionale de lutte contre les forces négatives va être mise en place et sera immédiatement opérationnelle sous la direction de la RDC. Par contre, il n’est pas clair sur la différence entre les nouvelles opérations annoncées et celles déjà en cours avec l’armée ougandaise en Ituri et au Nord-Kivu, avec l’armée kenyanne au sein de la Monusco et l’armée burundaise qui est sur place au Sud-Kivu.

Troisièmement, cette adhésion peut également être justifiée par la léthargie de la CEPGL. Cette autre organisation sous-régionale a perdu de sa superbe auprès de l’opinion régionale.  Et son efficacité pour assurer la mission d’intégration économique a été impactée négativement par la crise politique et sécuritaire que traverse la région des Grands Lacs. Face à cette léthargie, plusieurs observateurs avaient proposé soit son élargissement à d’autres États, soit sa fusion avec l’EAC.

Ces raisons ne sont cependant pas suffisantes au regard de la fragilité de l’économie congolaise et du manque de vision stratégique du côté congolais. Kinshasa semble n’avoir en effet joué que le pari de la sécurité. La RDC est un pays peu industrialisé, peu bancarisé, son économie est très extravertie et souffre d’un déficit d’infrastructures. Sans production interne répondant aux besoins commerciaux en termes d’exportations, le pays, à travers cette adhésion, s’offre comme un marché où les autres États ayant des surplus de productions importants viendront écouler leurs produits. Et cela risque d’être au grand  désavantage du fisc congolais. Car la libre circulation des biens et services appelle à une réduction des frais, taxes et impôts douaniers, pourtant une source importante des ressources financières du pays.

De même, les rares entreprises congolaises qui ont résisté risquent d’être asphyxiées par cette libre concurrence avec les produits étrangers. La Brasserie de limonades à Bukavu connaît d’ailleurs quelques difficultés ces dernières années à la suite de l’affluence des produits concurrents venant des pays voisins, comme le Burundi avec ses bières Amstel beer et Bock.

Si la RDC s’active fortement sur le volet sécuritaire impliquant son adhésion à l’EAC, l’on se pose des questions sur le volet économique et commercial. Nous ne notons aucune préparation de la part des autorités congolaises, aucune étude pour évaluer l’impact de la suppression ou de la réduction des tarifs douaniers dans les postes frontaliers en ce qui concerne la mobilisation des recettes,  aucune anticipation sur la mise en place d’un fonds censé soutenir les entrepreneurs locaux pour les aider à faire face à la future concurrence. 

Dans la perspective de l’adhésion de la RDC à l’EAC, le Kenya par exemple a organisé une mission commerciale afin d’étudier les opportunités pour les investisseurs kenyans. L’Ouganda, quant à elle, a lancé la construction de 223 km de routes en RDC pour faciliter les échanges. La RDC devra vite réfléchir sur les moyens à mettre en place pour profiter économiquement et commercialement de cette adhésion.

En attendant, pour recevoir Po na GEC chaque vendredi sur votre téléphone, rejoignez notre fil WhatsApp en envoyant « GEC », G, E, C,  ou « Ebuteli » au +243 894 110 542. À bientôt !

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