Samedi dernier, une table ronde sur la réconciliation intercommunautaire a été clôturée à Lubumbashi après huit jours de discussions. Il s’agissait d’une initiative du président Félix Tshisekedi, avec une participation impressionnante : le Premier ministre, des gouverneurs, plusieurs ministres nationaux et provinciaux ont pris part à ces assises. Quelle était la raison de cette réunion ? A-t-elle réussi ?
C’est le sujet du dixième épisode de la saison 2 de Po na GEC, la capsule audio du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) et d’Ebuteli, son partenaire de recherche en RDC, qui tente d’éclairer l’actualité du pays. Je suis Jason Stearns, directeur du GEC. Nous sommes le vendredi 6 mai 2022.
La réunion a abordé l’une des questions les plus sensibles de la politique katangaise : l’autochtonie. Depuis la création de l’Union minière du Katanga en 1906, la région a attiré des travailleurs de toutes les provinces, en particulier ceux du Kasaï. Cela a suscité le ressentiment des communautés locales dès 1936, lorsque le gouvernement colonial belge a nommé Albert Kabongo, un Kasaïen de la communauté Luba, comme chef de centre d’Elisabethville. Puis, en 1957, lors des premières élections communales du Congo, trois des quatre conseillers élus dans la ville étaient des Luba, le quatrième étant originaire du nord du Katanga.
Dans le passé, cependant, ce n’est que lorsque les politiciens ont manipulé ces ressentiments que ces derniers ont dégénéré en violence. Le cas le plus célèbre est survenu en 1991, lorsque le président Mobutu et le gouverneur Kyungu wa Kumwanza ont tous deux alimenté une campagne de divisionnisme et de discours de haine. Conséquence : plus de 100 000 Kasaïens, principalement des Luba, chassés de Kolwezi, Likasi et d’autres villes.
La situation actuelle est beaucoup moins dramatique, mais reste préoccupante. Au cours des dernières années, et de plus en plus depuis l’année dernière, des milliers de Kasaïens ont migré vers les villes minières de Likasi, Fungurume, Kasumbalesa, Kolwezi et Lubumbashi. En fait, leur nombre est difficile à estimer, mais certaines organisations locales indiquent que l’on pouvait compter des centaines d’arrivées par jour.
Les raisons de cette migration semblent largement liées à la détérioration de la situation économique et humanitaire dans les Kasaï. Ces déplacements ont provoqué des tensions avec d’autres communautés locales qui prétendent que les nouveaux arrivants sur place pourraient leur enlever des emplois ou saper leur pouvoir politique. Déjà, par exemple, parmi les 36 députés nationaux et provinciaux élus à Lubumbashi en 2018, seule une poignée est issue des communautés considérées comme originaires du Haut-Katanga.
Il n’y a pas encore eu de violences à grande échelle provoquées par cette migration récente. Et la situation est bien différente de celle de 1992 : à l’époque, Mobutu et Kyungu étaient confrontés au défi d’un parti d’opposition dirigé par Étienne Tshisekedi, que beaucoup considéraient comme ancré dans la communauté luba. Aujourd’hui, c’est un président issu de cette même communauté qui est au pouvoir et se trouve également en coalition avec le parti politique de Kyungu, l’UNAFEC.
Pourtant, au vu de l’ampleur des violences passées et de la généralisation de ces rancœurs, il y a de quoi s’inquiéter. Ce qui justifie cette table ronde. Et les tensions liées à l’appartenance surgissent également ailleurs : des protestations ont éclaté au Kasaï à propos d’une entreprise de construction de routes accusée d’avoir favorisé les travailleurs de l’ancienne province du Bandundu. Lors de récents pourparlers de paix de Nairobi, de nombreux participants ont articulé leurs griefs autour d’arguments similaires liés à l’autochtonie, la « géopolitique » à la congolaise.
Quelles solutions ont alors été proposées ? À l’issue de la table ronde de Lubumbashi, de nombreuses recommandations ont été formulées. Certaines d’entre elles semblent bénéficier d’un large soutien, comme par exemple : investir dans l’économie du Grand Kasaï, notamment en promouvant l’agriculture, en construisant des barrages hydroélectriques et des routes, et en développant de nouvelles activités minières. D’autres sont plus controversées, notamment la proposition d’exiger une feuille de route pour les personnes qui veulent traverser les frontières provinciales, car ceci pourrait entraîner des harcèlements et porter atteinte à la libre circulation des populations.
Avec les élections qui se profilent à l’horizon, des tensions communautaires risquent d’augmenter dans tout le pays. La façon dont les dirigeants politiques y répondront sera un indicateur de leur capacité à placer la cohésion nationale au-dessus des préoccupations partisanes et personnelles.
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