Rassemblement à la gare centrale à Kinshasa un jour, devant l’ambassade du Rwanda un autre jour, marche de l’opposition et de la société civile le jour suivant, la mobilisation est totale. Le pays est agressé. Et une fois de plus, c’est le Rwanda qui est pointé du doigt, non sans raison. Au-delà de la mobilisation et des protestations, n’est-il pas temps de se doter d’une armée dissuasive ?
Bonjour et bienvenue dans ce 14e épisode de la saison 2 de Po Na GEC, la capsule audio qui tente d’éclairer l’actualité de la RDC. Je suis Fred Bauma, secrétaire exécutif d’Ebuteli, institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence et partenaire de recherche du Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New-York. Nous sommes le vendredi 3 juin 2022.
De Kinshasa à Bukavu en passant par Lubumbashi, Bunia et Kisangani, et même à l’étranger, les appels à mobilisation se multiplient. Dans la rue comme sur les réseaux sociaux, le message est clair: le Rwanda a une fois de plus attaqué la RDC à travers le M23. Deux militaires rwandais ont même été arrêtés en RDC. Sur le terrain, les récents combats entre ces M23 et les FARDC, soutenues par la Monusco, ont accentué la crise humanitaire avec 70 000 nouveaux déplacés, selon l’ONU, dans une région qui en comptait déjà plus de 5 millions. Depuis la première invasion rwandaise en 1996, le pays des mille collines a régulièrement soutenu des groupes armés qui sont responsables de crimes graves en RDC.
Mais au-delà des protestations légitimes de la population, une autre question, bien plus importante, mérite d’être posée: pourquoi le Rwanda et d’autres pays de la région arrivent facilement à « agresser » la RDC ? Car outre le Rwanda, d’autres pays limitrophes de la RDC soutiennent, ou ont soutenu par le passé, des groupes armés locaux ou étrangers sur le sol congolais. C’est le cas des Imbonerakure, milice du parti au pouvoir au Burundi, qui opèrent encore aujourd’hui au Sud-Kivu. Des armées des pays voisins ont également occupé impunément certaines parties de la RDC, parfois pendant des mois. C’est le cas de l’armée angolaise dans le territoire Kahemba en 2007 et de Tshela en 2009 et, en 2021, de l’armée zambienne dans le territoire de Moba et Pweto en 2020 ou même des incursions de l’armée sud-soudanaise dans le territoire d’Aru, toujours en 2020. On pourrait aussi se demander pourquoi la RDC a besoin d’armées étrangères pour faire face à des groupes armés sur son territoire, comme c’est le cas avec l’UPDF depuis six mois au Nord-Kivu et en Ituri ou encore de certaines unités de l’armée rwandaise entre 2019 et 2020 dans les opérations contre les FDLR et d’autres groupes rwandais au Nord-Kivu et au Sud-Kivu. Cette question est importante surtout lorsque, comme l’affirme un rapport du ministère congolais de la Défense et Anciens Combattants, les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri comptent officiellement environ 50 000 militaires, soit plus de la moitié de l’ensemble des effectifs des FARDC. Et ce, sans compter la police nationale congolaise et les Casques bleus de la Monusco.
En réalité, malgré les appels incessants de la société civile et des bailleurs de fonds, la RDC n’a pas pu se doter de forces de défense dissuasives. Malgré les progrès initiaux entre 2005 et 2011 avec la formation de certaines unités de l’armée et l’adoption d’un plan d’action de réformes des FARDC, les tentatives de réforme qui visent la professionnalisation de l’armée en se focalisant sur le recrutement, “la formation, l’équipement et le casernement” sont restées incomplètes. Elles n’ont pas résolu les problèmes structurels au sein des FARDC. Aussi, les différents accords de paix qui ont déversé des combattants issus des groupes armés dans l’armée ont beaucoup affaibli ces efforts de réforme.
Le rapport d’évaluation de l’état de siège fait par le ministère de la Défense et Anciens combattants de la RDC en décembre 2021 dresse de manière lucide les conséquences de l’échec de la réforme l’armée : « Déficit criant des effectifs opérationnels, inadéquation entre les effectifs existants et déclarés, déficit de renseignements, insuffisance du personnel logistique qualifié (…)». Et la recommandation du ministre de la Défense est éloquente: il est urgent de « définir et appliquer une politique de défense de la RDC » dont l’absence « explique logiquement les faiblesses de notre système de défense et les fréquentes agressions que nous subissons. » La loi de programmation militaire dont le projet a été récemment adopté en conseil des ministres constitue-t-elle le début d’une véritable réforme des FARDC ?
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