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Économie politique
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IGF, outil de gestion ou machine politique ?

À son arrivée au pouvoir, le président Félix Tshisekedi a redynamisé l’Inspection générale des finances. Mais pour quelles fins ?

Dès sa prestation de serment, le 24 avril 2019, Félix Tshisekedi annonce la couleur. Arrivé au pouvoir à l’issue d’un scrutin présidentiel contesté, le nouveau chef de l’État s’engage à mener une « lutte efficace et déterminée contre la corruption et les antivaleurs notamment l’impunité, la mauvaise gouvernance, le tribalisme et autres. » Depuis, cette rhétorique est bien présente dans les différentes allocutions du président de la République.

Dans les faits, la matérialisation de cet engagement paraît plutôt mal engagée. Dès mars 2019, en attendant la nomination d’un nouveau gouvernement issu de la coalition entre le Front commun pour le Congo (FCC) de son prédécesseur Joseph Kabila et son Cap pour le changement (Cach), Félix Tshisekedi lance le « programme d’urgence pour [les] 100 premiers jours » de son mandat. D’un coût estimé à quelque 300 millions de dollars, ce programme comporte alors plusieurs volets, notamment la réhabilitation des infrastructures socio-économiques. Il est question de construire, entre autres, des sauts-de-mouton.

Au lieu de produire les résultats escomptés, ce programme se retrouve au centre d’un grand scandale financier. Les sauts-de-mouton, présentés comme une solution aux embouteillages croissants à Kinshasa, se transforment en cauchemar pour les Kinois à cause du retard dans la construction qui complique davantage la circulation des usagers de la route. Excédée, la population de la capitale gronde. La société civile exige des enquêtes sur les soupçons de corruption dans l’exécution de ce programme. L’échec paraît quasi total pour ce programme piloté par la présidence de la République. Avant ce scandale financier, la présidence de la République était déjà éclaboussée par une autre affaire relative à la disparition de 15 millions de dollars américains de la décote sur les produits pétroliers. L’Inspection générale des finances (IGF) a dénoncé ces faits, mais elle n’a pas été prise au sérieux. 

Le réveil du gendarme financier

En 2020, le président Tshisekedi passe de la parole à l’acte. Il crée en mars l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC). Cette initiative s’accompagne de la redynamisation de l’IGF qui a désormais à sa tête un proche du chef de l’État : Jules Alingete. 

Instituée depuis le 6 janvier 1968 au sein du ministère des Finances, l’IGF a pour mission de vérifier et contrôler toutes les recettes et toutes les dépenses qui ont une incidence sur le budget de l’État. C’est seulement depuis 2009 que ce service est désormais placé sous la tutelle directe du président de la République. Sans jamais sortir de l’ombre. Ces deux dernières années cependant, après 52 ans d’existence, l’IGF est finalement devenue célèbre, notamment en raison de la publication des rapports d’audit souvent révélateurs des scandales financiers à répétition. 

Nommé en juillet 2020, son patron, Alingete, mène plusieurs actions de nature à améliorer le travail de ce service et à lui attirer la confiance ainsi que l’admiration des citoyens. L’inspecteur général – chef de service n’hésite pas à communiquer : il tient des points de presse autour de différents rapports de l’IGF pour permettre, selon lui, à la population de s’enquérir de la situation et de mettre à nu les différents prédateurs des deniers publics. Alingete est omniprésent dans les médias, tantôt pour vanter les mérites de ses actions, tantôt pour déplorer le niveau de prédation dans la gestion des finances publiques.  

Ensuite, pour rajeunir et renforcer son équipe, l’IGF procède à deux recrutements de nouveaux inspecteurs de finances. Le service comptait environ 70 agents en 2020, rejoints désormais par 170 nouveaux inspecteurs (85 en 2020 et 85 en 2021). Aujourd’hui son personnel s’élève autour de 222 agents, après quelques départs en retraite.

Les missions du gendarme financier 

Depuis, l’IGF cumule des missions. Parfois à sa propre initiative, parfois à la demande du président de la République, du Premier ministre, des ministres sectoriels, voire des gouverneurs. L’inspection est également saisie par la dénonciation des aviseurs ou à la demande des personnes indexées, à l’instar de l’ancien Premier ministre Matata Ponyo. 

Concrètement, parmi les cibles de ces missions d’inspection, de contrôle et d’audit, l’on retrouve des établissements publics (Caisse nationale de sécurité sociale, Fonds de promotion de l’industrie, Institut national de préparation professionnelle, Office congolais de contrôle, Centre d’expertise d’évaluation et de certification), les sociétés commerciales de l’État (Congo Airways, Regideso, Cobil, Onatra, Sonahydroc, SNCC), les projets et programmes (Bukanga Lonzo, Tshilejelu, programme élargi de vaccination, projet de développement du système de santé, cellule d’appui et de gestion financière, programme national de santé de la reproduction et fonds de développement des services de santé), les ministères (Santé, Enseignement,  Sports, Affaires foncières, Agriculture), des gouvernements provinciaux (Kinshasa, Haut-Katanga, Kwilu, Tanganyka, Mai-Ndombe, Lualaba) et certaines banques commerciales. À quelques exceptions près, les conclusions de toutes ces missions sont généralement les mêmes : mégestion et détournements, dilapidation des ressources, avantages illégaux, non-respect des procédures. 

Depuis un certain temps, l’IGF a pris l’option d’agir de manière préventive contre les malversations des finances publiques. De ce fait, elle déploie les inspecteurs dans plusieurs entités citées ci-haut pour des missions d’encadrement des dépenses. Un encadrement similaire est actuellement en cours au sein de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), a révélé récemment Alingete lui-même au Groupe d’étude sur le Congo lors d’un épisode du podcast Masolo Ya Kati.

Les résultats de cet activisme sont légion. Des mesures disciplinaires ou correctrices ont été apportées à l’issue de ces missions de contrôle : suspension de certains mandataires et agents, changement des postes d’autres, changements de procédure interne au sein des entités. Dans certains cas, des poursuites judiciaires ont été engagées contre des personnes. C’est le cas notamment de la condamnation à 20 ans de prison de Dhelon Kampayi, directeur général du Service de contrôle et de paie des enseignants (Secope), et de Michel Djamba, inspecteur général de l’Enseignement, primaire, secondaire et technique (EPST). Même si, très souvent, c’est l’inverse qui se produit : la justice tarde à trancher sur les cas de corruption soumis par l’IGF. Même le président Tshisekedi s’en est plaint, le 13 décembre 2021, lors de son discours sur l’état de la nation. 

Ce même jour-là, le mérite de ce nouveau dynamisme de l’IGF a été reconnu comme l’un des facteurs de l’embellie en cours des recettes. « Placée sous mon autorité directe, l’Inspection générale des finances contribue efficacement à l’effort d’assainissement des finances publiques et cela, à la grande satisfaction de nos populations », a déclaré le chef de l’État devant le Congrès. Cependant, conséquence sans doute d’une justice à deux vitesses, plusieurs ministres, mandataires publics et autres hauts fonctionnaires demeurent intouchables parce qu’ils disposent des connexions avec les acteurs clés au sommet de l’État.

Les limites du gendarme financier

Plusieurs observateurs questionnent tout de même l’impartialité sur les choix, la conduite et la médiatisation de missions de contrôle de l’IGF. Beaucoup se demandent par exemple pourquoi l’IGF ne s’intéresse pas à la gestion de la présidence de la République, pourtant non épargnée par la corruption. 

Jusqu’ici, seuls la maison civile du chef de l’État et le secrétariat général de la présidence de la République, deux entités gérant des sommes d’argent bien moindres que le cabinet du chef de l’État, ont été concernés par les missions d’inspection de l’IGF. Et les conclusions des rapports de ces missions ne sont pas encore publiées.

Autre critique à l’encontre de l’IGF : son interprétation partisane des dépassements budgétaires à la présidence de la République. Ce qui a discrédité le gendarme financier aux yeux d’une frange non négligeable de l’opinion publique. Pour l’IGF en effet,  « le dépassement budgétaire n’est ni un acte de détournement ni un acte de mauvaise gestion » alors que cela viole la loi des finances, comme avait tenu à le rappeler le président de la Cour des comptes. Pour Ernest Izemengia Nsaa-Nsaa,  « les dépenses de ces crédits limitatifs ne peuvent être engagées et ordonnancées au-delà de dotations budgétaires,  c’est-à-dire que s’il y a dépassement, ce que la loi a été violée »

Étant sous tutelle du président de la République, l’IGF craint sans doute de scier l’arbre sur lequel elle est assise. Ce manque d’indépendance vis-à-vis du plus haut sommet de l’État peut ainsi entraîner une instrumentalisation de l’IGF à des fins politiques. Rappelons par exemple ici le volte-face d’Alingete après les révélations Congo Hold-up sur le dossier Égal qui a surpris l’opinion publique. Au départ, le patron de l’IGF partageait le même point de vue à propos des conclusions de cette enquête basée sur la fuite de documents de la BGFIBank et celle de l’IGF sur le détournement de 43 millions dans le dossier Égal et la banque précitée ainsi mise en cause. Alingete fera ensuite un revirement à 360 degrés, en affirmant que « (…) quand nous allons dans les enquêtes des médias internationaux,  nous nous rendons compte  qu’ils n’ont pas les mêmes objectifs que nous, parce que  nous, nous  voulons préserver l’intérêt du Congo ». Selon plusieurs sources, il aurait reçu des pressions de politiques pour le changement de narratif.

En août 2021, pendant que le ministère de l’EPST se préparait à payer en espèces près de 16 millions de dollars pour 300 000 agents répartis dans 58 provinces éducationnelles, l’IGF s’y est farouchement opposée, craignant que cela soit un moyen de détourner des fonds publics. Cette situation va créer une crise entre Tony Mwaba, ministre de l’EPST, issu du parti présidentiel, et Alingete jusqu’à nécessiter l’arbitrage d’Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS. Pour ce dernier, le litige entre les deux personnalités est dû à un « problème d’incompréhension entre les deux et non de détournement. Car, pendant que l’IGF souhaite que l’argent respecte le circuit normal pour la paie, le ministre trouve que l’ouverture d’ un compte pour 40 000 FC amenuise davantage ce montant. »  Alors que dans le même secteur, Willy Bakonga, ancien ministre de l’EPST dans le gouvernement Sama Lukonde et accusé de plusieurs malversations financières par l’IGF, avait été devant le juge, les accusations contre l’actuel ministre de l’EPST ne sont pas sorties  des bureaux de la 11e rue Limete où elles ont été classées sans suite en toute méconnaissance de la justice. Les linges sales se lavent en famille.

Le militantisme de l’inspecteur en chef dénoncé

Mais une question fondamentale reste posée : au nom de quels mécanismes les animateurs des institutions de l’État rendent-ils des comptes à un parti politique ? Si, en principe, le ministre est issu de rangs de l’UDPS, l’IGF serait-il devenu aussi membre de ce parti politique ? En tout cas, l’Observatoire de la dépense publique (Odep) n’a pas hésité à qualifier Alingete de militant de l’UDPS. D’autant que dans le travail de ce dernier, seuls les gestionnaires non membres de l’UDPS peuvent se retrouver devant les juges et que l’impunité absolue semble être assurée pour ceux issus de l’UDPS.  

Ce dossier donne à l’IGF l’image d’un instrument destiné à faire taire les adversaires politiques du camp présidentiel. Il en est ainsi notamment des polémiques autour de l’affaire Matata.

Le manque de transparence de l’IGF

Notons enfin que l’IGF a toujours donné des leçons aux autres institutions du pays sur la corruption. Il s’avère malheureusement que cette inspection n’est pas elle-même une institution transparente et exemplaire en matière de gestion des finances publiques. 

Quel est le budget de l’IGF ? Qui contrôle l’utilisation des fonds publics dont elle bénéficie ?  Comment les marchés publics sont-ils attribués ? Où sont les rapport d’audit de la gestion de l’IGF ? Aucune information n’est disponible à ces sujets. Même le site internet de l’IGF n’en donne aucune indication. 

Pour améliorer le travail de ce service, il est important qu’un audit indépendant et régulier y soit mené.

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