Le 17 janvier 1961, Patrice Emery Lumumba est assassiné près d’Élisabethville, actuellement Lubumbashi, dans la province du Haut-Katanga. Soixante-et-un ans après cet assasinat, le pays a remonté cette semaine le cours de l’histoire. Le 22 juin, le cercueil de Lumumba est amené, pour la première fois, à son village natal, Onalua, rebaptisé Lumumba-ville, dans la province du Sankuru, pour des hommages. Deux jours plutôt, la Belgique a procédé à la restitution d’une dent, l’unique reste de sa dépouille. Mais que reste-t-il de la pensée politique de Lumumba ?
Bonjour,
Je m’appelle Ange Makadi Ngoy. Je suis chercheuse à Talatala, baromètre de l’activité parlementaire et de l’action du gouvernement en RDC. Vous écoutez le 17e épisode de la saison 2 de Po Na GEC, capsule audio du Groupe d’étude sur le Congo, centre de recherche indépendant basé à l’Université de New-York, et d’Ebuteli, son partenaire de recherche en RDC. Chaque semaine, ce podcast donne notre point de vue sur une question d’actualité en RDC. Nous sommes le vendredi 24 juin 2022.
Il n’a que 35 ans lorsqu’il est assassiné avec deux de ses compagnons, Maurice Mpolo et Joseph Okito. Patrice Emery Lumumba est l’éphémère premier Premier ministre congolais, tué moins de sept mois après l’indépendance. Soixante-et-un ans, c’est un événement historique que vivent les Congolais : une dent, seule relique de ce héros national, a été rendue à sa famille. Après l’étape de Sankuru, puis celle de Kisangani, ancienne Stanleyville, puis du Haut-Katanga, ce qui constitue la dépouille de Lumumba sera inhumée le 30 juin, date anniversaire de l’indépendance du pays, à la place de l’Échangeur, dans la commune de Limete, à Kinshasa.
Alors, 61 ans après l’assassinat de Lumumba, comment se perpétue sa pensée politique ? Comment ses idées ont-elles fait leur chemin à travers le pays ?
Au Congo, des partis et des personnalités politiques se disputent l’héritage de l’idéologie lumumbiste. Le lumumbisme pourrait se résumer au travers des idéaux pour lesquels Lumumba était prêt à mourir. Une « synthèse de l’humanisme et du patriotisme », écrit, en 2012, le professeur Tshiyembe Mwayila lorsqu’il essaie de ranger la pensée politique de Lumumba dans une famille idéologique. D’autant que dans ses discours, avant et après l’indépendance, Lumumba place l’homme au centre de son action et prône la justice sociale. « Dans notre action pour la conquête de l’indépendance du Congo, nous n’avons cessé de proclamer que nous n’étions contre personne, mais uniquement contre la domination, les injustices et les abus », clame-t-il d’ailleurs, le 11 décembre 1958, lors de son discours d’Accra. Lumumba, c’est aussi le chantre de l’indépendance politique et économique de l’Afrique et du Congo, des droit des Africains à disposer de leurs richesses, à choisir leur propre modèle de développement et à le réaliser.
Après son assassinat, des personnes se sont réclamées lumumbistes et ont prétendu perpetuer sa pensée politique. Illustration avec Antoine Gizenga, son compagnon de lutte. Il s’est présenté comme son héritier politique. À tort ou à raison ? En tout cas, lors de son passage à la primature, à l’issue des élections de 2006 et de son alliance avec Joseph Kabila, l’on s’est rendu compte que le lumumbisme n’a été qu’un moyen de se légitimer, car aucune politique publique d’envergure n’est allée dans la direction des idéaux de Lumumba. Lors de la dernière présidentielle, en 2018, Gizenga a même appelé ses partisans à soutenir la candidature d’Emmanuel Ramazani Shadary, candidat d’un pouvoir qui n’a pas réussi à améliorer le bien-être des Congolais ni à instaurer une justice sociale après 18 ans de règne.
Puisque dans l’imaginaire collectif congolais est Lumumba celui ou celle qui est prêt ou prête à faire passer les intérêts du Congo avant tout, comme l’avait écrit Lumumba lui-même dans sa dernière lettre à sa femme : « Ce n’est pas ma personne qui compte, mais le Congo et notre pauvre peuple (…) ».
Aujourd’hui encore, Patrice Lumumba reste une figure héroïque des indépendances africaines. Cependant, ses idéaux ont du mal à percer et à guider les politiques publiques. Plusieurs se réclament de son école mais peu mettent en application ses idées. Le retour de sa relique et l’hommage à venir, au-delà d’un éventuel gain politique pour le pouvoir actuel, peuvent-ils enfin constituer une opportunité pour la bonne compréhension de sa pensée politique à transmettre régulièrement à la jeune génération ? Espérons-le.
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