Ce billet de blog constitue le premier volet d’une série d’analyses sur les dynamiques des conflits dans les Uélé. Il s’intéresse particulièrement aux tensions liées à l’exploitation minière d’agents chinois depuis 2021 dans la province du Haut-Uélé, située dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC).
Par Adolphe Chober Agenonga, professeur à l’Université de Kisangani (Unikis) et chercheur principal pour les Uélé, pour le projet « Utafiti ya Amani » du Groupe d’étude sur le Congo et d’Ebuteli
Le 10 avril dernier, le site minier de Moku, situé en territoire de Watsa dans la province du Haut-Uélé, a été la cible d’une attaque meurtrière. Un exploitant minier de nationalité chinoise et deux militaires commis à leur sécurité ont été tués. Ni l’identité, ni les motivations de ces assaillants ne sont connues à ce stade. Mais selon des témoins, ils se sont emparés de stocks d’or et d’autres biens de valeur présents sur le site.
Les tensions autour des sites miniers ne sont pas nouvelles en RDC. Elles concernent régulièrement de nombreux sites des provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, de l’Ituri ou même de la Tshopo. Les exploitants chinois ne sont pas non plus les seuls concernés. Dans le Haut-Uélé, la mine industrielle de Kibali, propriété des sociétés canadienne Barrick Gold, sud-africaine Anglogold Ashanti, et congolaise Sokimo, est également au centre d’importante tensions. Néanmoins, la présence croissante d’exploitants chinois sur les sites artisanaux du Haut-Uélé semble avoir provoqué des conflits de plus en plus nombreux.
Selon les estimations des services des mines du Haut-Uélé, une centaine d’exploitants seraient présents dans cette province. Ils seraient propriétaires de plusieurs engins lourds, comme des dragues, dont la législation congolaise interdit pourtant d’utilisation dans les zones d’exploitation artisanale (ZEA).
Dans le seul territoire de Watsa, le Service d’assistance et d’encadrement de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (SAEMAPE) a enregistré au moins 104 excavatrices, 63 motopompes à haute capacité et 7 bulldozers appartenant majoritairement à des exploitants chinois.
Première vague
Le Haut-Uélé n’était en revanche pas concerné par cette mesure. En conséquence, plusieurs entreprises et coopératives partenaires, comme la Coopérative minière de l’Est du Congo (COOMEC), la Société et coopérative minière pour le développement intégral (SOCOOMEDI), Dragon, Tongli ressources et Green Mountain Ressources, sont arrivées dans le Haut-Uélé, probablement en provenance de la province voisine de l’Ituri. D’autres coopératives basées dans le Haut-Uélé, dont il a été difficile de retracer les origines, ont absorbé une partie du personnel et du matériel chinois provenant de l’Est, à l’instar de la Coopérative de Matete (COMIMA), Mavuno et Amani Kwetu.
Ces entreprises chinoises sont principalement établies dans les territoires de Dungu, Faradje, Wamba et Watsa. Tous ces territoires connaissent des tensions autour de ces exploitations à l’exception de celui Dungu où opère l’entreprise minière Green Mountain Ressources qui exploite de l’or sur la rivière Kibali.
Appels à interdire l’exploitation aux Chinois
Le 17 septembre 2021, la société civile du territoire de Wamba a, par exemple, demandé au chef de l’État et au ministre des Mines d’interdire l’exploitation minière artisanale aux Chinois. Cette position a été soutenue par l’ancien député national André Lité, originaire de la chefferie des Balika Toriko.
Le 10 mars 2022, c’était le territoire de Faradje qui était à son tour touché. La « société civile force vive » et des exploitants artisanaux ont exigé le départ des exploitants chinois de cette entité, en s’appuyant la note circulaire du 2 octobre 2021 par laquelle le ministre national des mines avait ordonné le retrait des étrangers et des engins lourds des ZEA. Cet incident a entraîné leur départ de la chefferie des Logo Obelebha. Selon une source locale, ils se seraient redirigés vers la chefferie des Logo Doka, sur le même territoire.
Facteurs de tensions
Parmi les facteurs qui expliquent ces tensions, on trouve notamment l’opacité dans la gouvernance minière, l’empiètement sur les intérêts de certains exploitants artisanaux, le faible dividende tiré par les communautés riveraines et les recours systématiques aux militaires par les entreprises chinoises.
Si les engins lourds sont en principe exclus des ZEA, des partenariats ont en réalité régulièrement lieu entre les coopératives minières et les exploitants chinois, qui sont souvent propriétaires de ces engins. Ces partenariats sont fréquemment formalisés par des protocoles garantissant l’exploitation minière sur plusieurs années, qui sont soumis à l’approbation de l’administration minière et, par lesquels les exploitants chinois s’engagent à verser mensuellement des montants aux coopératives allant parfois jusqu’à 15 000 dollars. En contrepartie, les coopératives acceptent de mettre leurs ZEA à la disposition de ces exploitants et d’assurer leur protection en matière juridique et sécuritaire. Au final, les partenaires chinois sont souvent les exploitants de fait de ces zones minières.
Pour se justifier, les responsables des coopératives qui acceptent ces accords affirment que sans les engins, l’expertise et les financements des exploitants chinois, ils ne seraient pas en mesure d’exploiter pleinement les ZEA, et notamment à atteindre la profondeur légale maximale de 30 mètres, ce qui occasionnerait un manque à gagner. Ces coopératives ne sont pourtant pas toujours titulaires de droits sur les ZEA. Sur 67 coopératives minières répertoriées par la division provinciale des mines de cette province, 37 sont propriétaires de ZEA, ce qui signifie que presque la moitié n’en disposent pas.
Autre problème légal : l’exploitation minière artisanale est en principe réservée aux nationaux, les étrangers étant interdits d’accès à ce secteur. Selon les responsables des services des mines, la plupart des exploitants chinois ne disposent par ailleurs pas de permis de recherche (PR), ni de permis d’exploitation minière (PEM). Cette situation porte également préjudice aux intérêts de l’État central, qui n’est pas en mesure de contrôler précisément la production et la commercialisation des minerais produits par les coopératives.
Devant ces violations persistantes de la législation minière, certaines organisations de la société civile et des élites de la province accusent les autorités d’êtres complices. Cet avis est partagé par certains députés nationaux et sénateurs de cette province, comme le sénateur Jean Bakomito, qui l’a exprimé le 30 avril 2022 sur les ondes de la Radio Boboto basée à Isiro, chef-lieu du Haut-Uélé.
Lors du Conseil des ministres du 3 juin 2022, le chef de l’État congolais a fait ce constat, rappelant les sanctions prévues par l’article 28 de la loi du 8 février 2017 fixant les règles applicables à la sous-traitance dans le secteur privé, et appelant à la collaboration des gouverneurs des provinces avec l’Autorité de régulation de la sous-traitance dans le secteur privé (ARSP).
Ces arrangements entre exploitants chinois et coopératives portent également préjudice à certains exploitants artisanaux – activité qui demeure l’une des principales sources de revenus des populations locales – qui sont ainsi concurrencés par des moyens beaucoup plus importants, ce qui explique leur mobilisation, notamment en territoire de Faradje.
Autre point de friction : les contributions des exploitants chinois aux communautés locales victimes de la destruction de leurs espaces champêtres, forestiers et la souillure des cours d’eaux, souvent jugées trop faibles par ces dernières. Les exploitants chinois se défendent en arguant notamment avoir réhabilité des routes sur recommandation des autorités. Mais pour de nombreux membres des communautés locales, ces réhabilitations ont uniquement pour but de faciliter la circulation de leurs engins et l’évacuation des substances minérales, dont ils ne tirent pas profit.
Les exploitants chinois recrutent enfin régulièrement des militaires pour assurer la protection des sites – pratique elle aussi illégale. Ceci entraîne régulièrement un usage disproportionné de la force, et empêche même parfois l’accès aux sites miniers aux services de l’Etat compétents, ce qui rend difficile tout contrôle de la production, de la commercialisation, et donc tout recouvrement des taxes et impôts dus par les exploitants.