Selon plusieurs sources diplomatiques, ce ne serait qu’une question de semaines : à la fin de ce mois de juillet, une force régionale de l’EAC, la Communauté d’Afrique de l’Est, pourrait commencer à se déployer dans la partie orientale de la RDC. Elle devrait comporter des contingents du Kenya, de l’Ouganda, du Burundi et même du Soudan du Sud. Mais est-ce la bonne méthode ?
Bonjour et bienvenue dans ce 20e épisode de la saison 2 de Po na GEC, la capsule audio qui tente d’éclairer l’actualité de la RDC. Je suis Pierre Boisselet, coordonnateur des recherches sur la violence d’Ebuteli, partenaire du Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New-York. Nous sommes le vendredi 15 juillet, et cette semaine, nous nous intéressons à la force régionale de l’EAC.
La création de cette force avait été annoncée pour la première fois le 22 avril 2022, à Nairobi, à l’issue du conclave des chefs d’État de l’EAC, peu après la signature du traité d’adhésion de la RDC. Son objectif : lutter contre les groupes armés qui refuseraient de déposer les armes. Le projet paraissait alors nébuleux et incertain. Il l’est encore en partie. Mais le processus a avancé depuis et un « concept d’opération » a même été signé par les chefs d’État-major des pays de la zone, dont la RDC, le 19 juin dernier.
Ce document, que nous avons pu consulter, pose toutefois de nombreuses questions. D’abord, celui de sa stratégie. Les chefs militaires d’Afrique orientale semblent considérer qu’une opération militaire extérieure décisive, sous commandement kényan, pourrait ramener la paix en l’espace de six mois – même si ce mandat initial pourrait être renouvelé. L’insécurité qui touche l’est de la RDC est pourtant profonde (elle dure depuis près de 30 ans) et complexe. Il est difficile d’imaginer un retour durable de la paix sans une réforme structurelle de l’État congolais, ce que ne peuvent pas faire des armées étrangères. Ces opérations comportent même le risque d’aggraver la situation dans certains endroits. Le déploiement de l’armée sud-soudanaise est par exemple prévu dans les provinces des Uélé, où le niveau d’insécurité est pourtant modéré. Il paraît même moindre qu’au Soudan du Sud lui-même, où l’instabilité justifie la présence d’une mission de l’ONU, la Minuss, depuis 2011. Comme d’autres, ce pays mène aussi parfois des incursions non sollicitées sur le sol congolais.
La question de la collaboration de la nouvelle force avec la Monusco se pose également. Ses concepteurs prévoient une collaboration étroite avec la mission onusienne, qui doit être intégré à l’état-major. Il faudrait pour cela sans doute un mandat différent, l’actuel ne lui permettant de mener des opérations conjointes qu’avec les FARDC. En son absence, cette collaboration pourrait davantage ressembler à l’entente très imparfaite qui prévaut avec l’armée ougandaise dans la lutte contre les ADF.
À la différence des autres missions de l’ONU et de l’UA, il est également prévu que les États membres financent eux-mêmes le déploiement et l’entretien de leurs troupes. Pour rentrer dans leurs frais, les contingents pourraient être incités à promouvoir leur intérêt, notamment économique, en lieu et place de celui de la RDC. Une telle dynamique pourrait aussi amener à des rivalités entre contingents. En principe, chacun aura une zone particulière de déploiement (le Tanganyika et le Sud-Kivu pour le Burundi, qui officialiserait ainsi sa présence, le Petit-Nord pour le Kenya, le Grand-Nord et l’Ituri pour l’Ouganda qui devrait renforcer son contingent, et les Uélé pour le Soudan du Sud, comme nous l’avons vu). Mais des frictions restent possibles, notamment à leurs frontières.
La réaction du Rwanda paraît enfin imprévisible. S’il doit faire partie de l’état-major de la force (en charge notamment du renseignement), ce pays est le seul de la l’EAC dont les soldats ne sont pas autorisés à opérer sur le sol congolais. Lors de l’un de ses derniers rapports, le Groupe d’étude sur le Congo et Ebuteli avaient identifié l’entrée de l’armée ougandaise au Congo, en novembre 2021, et sa rivalité avec le Rwanda comme l’un des facteurs derrière la réapparition de la rébellion du M23.
Dans le cadre de cette nouvelle force, le contingent kényan devrait être en première ligne pour affronter ces rebelles. Mais il n’est pas certain qu’on en mesure toutes les conséquences.
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