L’économie de la RDC, malgré son immense potentiel, peine à être compétitive et attractive aux investissements directs étrangers. Ceci est dû, en partie, au labyrinthe de taxes et impôts formels et informels qui leur sont imposés par différents services de l’État. Nombreux sont également les hommes et femmes d’affaires congolais qui ne cessent de déplorer un environnement institutionnel peu propice à la croissance de leurs entreprises.
Parmi les revendications des investisseurs nationaux et étrangers figure donc le lourd fardeau des impôts et taxes. Le paradoxe est flagrant dans ce domaine. D’un côté, les statistiques officielles renseignent que la RDC présente une faible performance en matière de recettes fiscales[1]. De l’autre côté, les contribuables et certaines autorités publiques soutiennent que la fiscalité congolaise est écrasante[2]. Au cours d’un point de presse tenue le 18 juillet 2022, le ministre du commerce extérieur Jean-Lucien Bussa insistait sur le fait que la douane congolaise « se trouve dans les limites autorisées par l’Organisation mondiale du commerce mais ce sont des prélèvements illégaux et arbitraires, les tracasseries parfois administratives qui font dépenser plus aux importateurs[3]… ». Mais en dehors de la douane, il y a aussi d’autres administrations et entreprises publiques qui font des prélèvements de même nature. Le décalage entre les missions, les moyens d’action et les mauvaises conditions professionnelles des agents de l’État justifie, dans une certaine mesure, l’existence d’une multitude d’impôts ou de taxes formels et informels qui ne prennent pas la direction du trésor public. Ceux qui agissent au nom de l’État congolais ont l’habitude de détourner une bonne partie des recettes publiques[4] qui devaient permettre de financer la construction des infrastructures de base dont le pays a besoin pour une croissance économique durable.
Dans le cadre des réformes devant soutenir la relance de l’économie congolaise, le gouvernement Sama Lukonde, en place depuis avril 2021, s’était donné comme mission d’assainir le climat des affaires, notamment par l’identification des prélèvements arbitraires en vue de la rationalisation des taxes à l’importation et à l’exportation et la réduction des coûts et des délais. L’objectif de cette démarche est d’améliorer la compétitivité de l’économie de la RDC, d’assurer le bien-être de la population étant donné que les opérateurs économiques disposent d’une grande marge de manoeuvre, d’intégrer toutes les charges supportées dans leur coût de revient, en dehors de la TVA récupérable.
À cet effet, la Fédération des entreprises du Congo (FEC) avait été mise à contribution pour fournir la liste des prélèvements qualifiés d’arbitraires, excessifs et inopportuns ou sans fondement. De ce travail, il va en découler une liste de 67 prélèvements jugés arbitraires, excessifs, inopportuns ou sans fondements réclamés par les services de l’État à l’occasion des opérations d’importation et d’exportation des biens qui va être soumis au ministère du commerce extérieur.
Après examen de cette liste provenant de la FEC, le ministre du commerce extérieur Jean-Lucien Bussa va annoncer la suppression de 14 taxes à l’importation et à l’exportation et la baisse du taux de 20 autres prélèvements fiscaux. Durant le régime du président Kabila, cette question était déjà à l’ordre du jour. Par exemple, en septembre 2010, une commission paritaire avait déjà proposé la suppression de toutes les taxes illégales[5], mais aucune avancée significative n’avait été enregistrée par la suite. Que faut-il espérer de cette nouvelle démarche dans un pays où l’État de droit peine à s’affirmer ? Plus d’un mois après l’annonce de cette mesure de suppression de 14 taxes, c’est le statu quo qui est observé sur le terrain.
Contestation et résistance des administrations et entreprises publiques frappées par la mesure
Sur la liste des taxes supprimées, plusieurs administrations et entreprises publiques sont concernées, à savoir : la Direction générale des douanes et accises (DGDA), les ministères de la Santé, de la Pêche et élevage, de l’Environnement et le développement durable ; la Régie des voies aériennes (RVA), la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC), la Société commerciale des transports et des ports (SCTP), l’Office de gestion du fret maritime (OGEFREM). D’après le ministère du Commerce extérieur, il n’est plus question de payer :
● la redevance rémunératoire informatique et la vignette fiscale (DGDA) ;
● la taxe sur la délivrance du certificat d’inspection des animaux, produits biologiques et vétérinaires (Pèche et élevage) ;
● la taxe sur la délivrance du certificat d’inspection phytosanitaire des denrées alimentaires aux postes frontaliers (Environnement) ;
● la TVA sur commission (OGEFREM) ;
● la redevance de développement des infrastructures aéroportuaires dans son volet se rapportant au fret (RVA) ;
● la redevance logistique terrestre à l’exportation (SCTP et SNCC), etc.
Dès que la nouvelle est annoncée, les agents de la plupart de ces administrations et entreprises publiques s’y opposent. Et pourtant, le ministre Jean-Lucien Bussa avait laissé entendre que cette décision avait été prise de concert avec les délégués des institutions, ministères et ceux des établissements et organismes publics concernés.
Dans certains cas, il s’est avéré qu’à la place des responsables des entités frappées par la mesure, c’est plutôt d’autres acteurs qui ont pris le relais pour exprimer leurs désaccords. Par exemple, l’Association congolaise pour l’accès à la justice (Acaj) avait pris position pour relever le fait que la suppression de la redevance logistique terrestre allait accentuer la faillite de la SCTP et de la SNCC[6]. Dans d’autres cas, ce sont les syndicalistes qui ont été les premiers à dénoncer une mesure prise sans tenir compte des difficultés auxquelles leurs administrations ou entreprises sont confrontées. Comment expliquer le silence des mandataires ou des hauts fonctionnaires ? En effet, cette astuce d’intermédiation des contestations est parfois utilisée par les mandataires publiques pour exercer la pression sur leur autorité de tutelle lorsque celle-ci a pris une décision avec laquelle ils ne sont pas d’accord.
Loin de surprendre, la suppression de 14 taxes à l’import-export tarde à produire ses effets. La SCTP et la RVA continuent de percevoir respectivement la redevance logistique terrestre à l’exportation et la redevance de développement des infrastructures aéroportuaires dans son volet se rapportant au fret. Les autres entreprises et administrations publiques font aussi la même chose.
Comment comprendre cette situation ?
D’abord, dans l’architecture gouvernementale actuelle, le ministre du Commerce extérieur est parmi les moins influents. Ce qui revient à dire qu’il peut initier ou prendre des mesures qui peuvent, dans une large mesure, ne pas être observées. Ensuite, à partir du moment où il existe des impôts et taxes formels ou informels dont la suppression peut occasionner des tensions au sein des administrations et des entreprises publiques, le gouvernement ne cherche pas à aller plus loin après la publication des ordonnances, décrets ou arrêtés destinés à soigner les apparences.
Nécessité de la réforme de l’administration et des entreprises publiques
En RDC, les usagers sont habitués aux décisions des autorités publiques qui ne produisent pas les effets escomptés sur le terrain. Cela peut s’expliquer, en partie, par le fait qu’il s’agit souvent des décisions en décalage avec les réalités socio-économiques. Qu’il s’agisse de l’administration ou des entreprises publiques, il faut nécessairement des réformes visant à résoudre les problèmes structurels et non les symptômes de la mauvaise gouvernance qui les caractérisent jusqu’à ce jour.
Parmi les urgences, il y a la restauration des mécanismes de redevabilité internes et externes. Plusieurs institutions politiques portent en effet une lourde responsabilité sur le dysfonctionnement des administrations et entreprises publiques où les nominations sont basées sur le clientélisme. Ceux qui occupent des fonctions clefs (président du conseil d’administration, directeur général, secrétaire général, directeurs, etc.) sont soutenus par les hauts dirigeants politiques qui trouvent leurs comptes en recevant des rétrocessions informelles ascendantes. Dans les discours officiels, l’administration publique est apolitique, mais dans la pratique, elle est hautement politisée. En disposant des appuis qui servent de protection des acteurs d’en haut, les acteurs d’en bas ont ainsi une grande marge de manœuvre pour percevoir à leur guise des impôts et taxes formels ou informels. Il est donc important que les institutions de contrôle des finances publiques exercent convenablement leurs prérogatives, mais aussi la justice. La prévalence de l’impunité en RDC ne permet pas d’avancer dans la direction de la bonne gouvernance des administrations et des entreprises publiques.
Par Jolino Malukisa, directeur du pilier gouvernance.
[1] https://documents1.worldbank.org/curated/en/634121537940846295/pdf/Tax-Gap-Analysis.pdf
[3]https://afrique.lalibre.be/20675/la-rdc-perd-15-milliards-de-dollars-par-an-dans-la-corruption/
[4] https://afrique.lalibre.be/20675/la-rdc-perd-15-milliards-de-dollars-par-an-dans-la-corruption/
[5]https://www.radiookapi.net/economie/2010/09/14/kinshasa-la-commission-paritaire-propose-la-suppression-des-toutes-les-taxes-illegales[6]https://deskeco.com/2022/07/28/rdc-la-suppression-de-la-redevance-logistique-terrestre-rlt-va-accentuer-la-faillite-de-la-sctp-et