Le 3 octobre, Félix-Antoine Tshisekedi nomme des nouveaux généraux et chefs d’état-major des FARDC. Le général Christian Tshiwewe, ancien chef de la garde républicaine, est nommé chef d’état-major général des FARDC. Cette annonce intervient deux semaines après une série d’arrestations de hauts gradés militaires, dont le général Philémon Yav. Est-ce qu’on assiste à une promotion par paranoïa présidentielle, des généraux loyaux au pouvoir ? Ou est-ce que cette nouvelle équipe peut réussir à apporter un changement positif au sein des FARDC ?
Bonjour,
Je suis Eliora Henzler, coordonnatrice du Baromètre sécuritaire du Kivu, le KST. Vous écoutez le 32e épisode de la saison 2 de Po Na GEC, capsule audio du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) et Ebuteli qui donne notre point de vue sur une question d’actualité en RDC. Nous sommes le vendredi 7 octobre.
Pourquoi maintenant ? Il semblerait que les récentes arrestations au sein de l’armée ont servi à accélérer un processus déjà en cours depuis plusieurs mois. D’un côté, le contexte de revendications populaires contre l’insécurité, l’inefficacité de l’état de siège, la Monusco et les opérations des M23, ont créé un terrain propice aux réformes dans l’armée. Un changement de leadership a été demandé par les députés du Nord-Kivu et de l’Ituri à plusieurs reprises, et l’ascension de Tshiwewe à son poste actuel semblait probable depuis sa nomination comme lieutenant général en août de cette année. Selon plusieurs sources, d’autres nominations pourront suivre sous peu.
Ces remaniements peuvent aussi être lus comme la fin de la période de divorce Kabila -Tshisekedi. Pendant la première phase de la coalition FCC-Cach, une inquiétude majeure était que l’armée restait entre les mains de Kabila. Tshiwewe vient remplacer Célestin Mbala, qui était nommé par Kabila, et au sujet duquel des spéculations de trahison circulaient. Les questionnements sur la loyauté se concrétisent quand Tshisekedi décide d’opérer la scission politique avec son prédécesseur. Donc, afin de conserver son pouvoir, Fatshi serait en train de nommer « ses » généraux qu’il tient en confiance. Un exemple qui va dans ce sens est le choix du nouveau commandant de la Garde républicaine Ephraïm Kabi Kiriza, un Shi proche de la première dame, Denise Nyakeru.
Quelles que soient les raisons, il reste à s’interroger si ces nouvelles têtes représentent une opportunité ou une difficulté pour que les FARDC réussissent à combattre les conflits à l’Est.
Côté opportunités, le fait de ne pas être issus des vagues précédentes de « mixage-brassage » et d’être en dehors des réseaux de guerres passées pourrait venir équilibrer le conflit entre les ex-Kadogo et les ex-FAZ dans l’armée; et donner au nouveau leadership une certaine liberté dans le travail avec les groupes armés, vu qu’ils sont moins compromis.
Mais cette « nouveauté » de l’équipe face aux opérations est une arme à double tranchant. Tshiwewe qui provient de la garde républicaine ne s’est pas démarqué par des opérations à l’Est. Or, la mise en œuvre des opérations FARDC se fait en partie par des réseaux informels qui existent au sein de l’armée – avec des liens de patronage et communications avec les chefs des groupes armés (comme on l’a vu dans les opérations contre le M23).
Parmi les nommés qui étaient sur terrain, le nouveau chef d’état-major adjoint, Ishari Gonza, a été dans les opérations Sokola à Beni; et le général Shiko, nouveau chargé des opérations militaires, était le commandant de la 32e brigade commando RR à Beni – deux opérations qualifiées comme des échecs. Est-ce qu’on peut donc dire qu’ils ont été sélectionnés pour leur succès militaire ? Les FARDC n’ont ni réussi à déjouer les ADF dans le grand Nord et en Ituri, ni à reprendre Bunagana, et jusqu’ici, aucun changement de positionnement des troupes ni de stratégie militaire n’a été annoncé.
Un autre défi potentiel est le rôle des personnes écartées (comme le chef d’état-major, le général Gabriel Amisi Kumba dit « Tango Four ») qui pourraient travailler pour déstabiliser le pouvoir surtout s’ils demeurent loyaux à Kabila. Cela est d’autant plus compliqué que Tshiwewe est un général trois étoiles, qui se voit confier le commandement de généraux quatre étoiles.
Au-delà du choix des personnes, rappelons qu’il existe des problèmes structurels dans l’armée congolaise qui ne se limitent pas à son leadership ou à des accusations de trahison. Les soldats perçoivent, de manière irrégulière, un salaire de 92$ par mois sans allocation logement, avec des rations de nourriture insuffisantes. Ceci alimente la crise de confiance entre les soldats sur le front, et leurs officiers. Les équipements posent problème : face aux groupes armés dont certains sont soutenus militairement par des pays étrangers, les contingents des FARDC demandent la modernisation des équipements médicaux et de surveillance, et des financements pour se procurer des armements modernes.
Le détournement des fonds alloués à l’armée et la gestion du personnel posent un défi majeur à la réforme du secteur de sécurité dont Fatshi a annoncé à plusieurs reprises qu’elle était une priorité pour sa présidence. Sans volonté politique de lui donner les moyens de réforme structurelle, cette nouvelle équipe a peu de chance de réussir ou ses prédécesseurs ont échoué. Plus généralement, même avec une armée efficace, la paix à l’Est ne parviendra pas d’une solution purement militaire.
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