Depuis la chute de Bunagana, en juin dernier, le conflit du M23 accapare une grande partie de l’attention médiatique et politique en RD Congo. Ceci est compréhensible : le risque d’un conflit ouvert avec le Rwanda et les graves exactions perpétrées mobilisent légitimement l’opinion publique et les décideurs. Néanmoins, cette focalisation fait passer au second plan d’autres conflits, comme celui du territoire de Djugu, dans la province de l’Ituri, qui est pourtant plus meurtrier encore pour les civils. Plus de mille d’entre eux y ont été tués ces deux dernières années. Entre les 13 et 16 janvier, à Nyambamba, au moins 31 civils ont à nouveau été tués par des miliciens Codeco. Pourquoi ne parvient-on pas à y maîtriser la violence ?
Bonjour et bienvenu dans ce troisième épisode de la saison trois de Po Na GEC, la capsule audio qui tente d’éclairer l’actualité de la RDC. Je suis Pierre Boisselet, le coordonnateur des recherches sur la violence de l’Institut Ebuteli. Nous sommes le vendredi 27 janvier, et cette semaine, nous nous intéressons au conflit sur le territoire de Djugu.
Sur le papier, ce dernier paraît plus simple à gérer que d’autres. Aucune rébellion étrangère n’est établie sur ce territoire et, à part la Monusco, aucune force étrangère n’y est directement intervenue depuis 2003 – même si l’armée ougandaise pourrait prochainement s’y déployer.
Il y a certes des circuits de contrebande importants, notamment vers l’Ouganda pour l’or produit dans la zone, mais les principaux acteurs sont tous Congolais. C’est le cas des miliciens, connus sous le nom générique de Codeco, qui sont responsables de la grande majorité des violences contre les civils, souvent ouvertement et en plein jour. Ces miliciens sont majoritairement issus de la communauté Lendu, qui a été historiquement marginalisée – ce qui ne justifie bien sûr en rien ses exactions.
Face à cette situation, l’armée congolaise a mené plusieurs offensives, comme l’opération Zaruba ya Ituri en 2019, puis sous l’état de siège depuis 2021, mais avec une faible distinction entre les miliciens Codeco des civils, ce qui a encore davantage insécurisé ces derniers, que ce soit lors des opérations elles-mêmes, ou lors des attaques de représailles, qui se sont progressivement étendues au territoire voisin de Mahagi.
Lors de ces offensives, l’armée s’est parfois appuyée sur des miliciens issus des communautés ciblées par la Codeco, notamment Hema et Alur. Ces derniers sont connus sous le nom de « Zaïre-FPAC », même si cette appellation est rejetée par les intéressés : ils restent discrets sur leur organisation, possiblement pour favoriser leur impunité. Toujours est-il que ces milices ont aussi mené des exactions.
C’est typiquement pour dénouer ce genre de situation qu’ont été conçus les processus de paix en cours dans l’est de la RDC. C’est le cas du Programme de désarmement, démobilisation, réinsertion communautaire et stabilisation, P-DDRCS, et du processus de Nairobi, qui rassemble autorités, groupes armés et leaders communautaires congolais. Les chefs de la Codeco ont d’ailleurs été représentés à Nairobi fin novembre, ce qui paraissait être une avancée. Ils y ont retrouvé des leaders d’autres communautés, mais pas les Zaïres, qui n’ont pas de représentants officiels. L’accalmie n’a en tout cas pas duré, et de nouvelles exactions ont eu lieu dès la fin des pourparlers.
C’est dans ce contexte qu’a été annoncée la création du Mouvement pour l’autodéfense populaire de l’Ituri, Mapi, en décembre. Ce groupe prétend défendre les communautés non-Lendu de Djugu face aux Codeco. Ses liens avec les Zaïres ne sont pas entièrement clairs, mais cette officialisation semble avoir été souhaitée par le gouverneur militaire de l’Ituri, Johnny Luboya Kashama qui a reçu leur promesse de déposer les armes le 23 janvier.
La question du leadership réel de cette structure sur les Zaïres sera cruciale pour savoir si elle peut prendre et faire respecter des engagements, où s’il s’agit uniquement de bénéficier du statut et de l’argent associé au rôle de partie à une négociation.
Cela semble en tout cas refléter un changement d’approche des autorités, avec un accent mis sur des discussions. Elles ont d’ailleurs peu d’autre choix, vu l’inefficacité de l’option militaire, et la réduction de ses effectifs, déjà insuffisants, au profit du front du M23.
Pour réussir, il leur faudra toutefois convaincre les membres de tous les groupes armés de déposer les armes, dont leurs leaders. Mais aussi, parallèlement, de résoudre les problèmes de fond, à savoir restaurer la confiance entre les autorités et les civils de toutes les communautés, ce qui nécessite des réformes de l’armée et de la police pour mettre fin à la prédation et les amener à conduire leur mission de manière impartiale et désintéressée. Il faudra aussi trouver des solutions acceptées et durables aux conflits fonciers et coutumiers.
Il y a peu de bénéfices immédiats pour qui se lancerait dans une tâche aussi complexe. Mais les morts de Djugu mériteraient que l’État se mobilise davantage pour parvenir à ces solutions.
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