Quatre jours. C’est le temps qu’a duré le voyage du pape François à Kinshasa, du 31 janvier au 3 février. Officiellement, sept grandes rencontres ont eu lieu entre le palais de la Nation, la nonciature, l’aéroport de Ndolo, le stade des Martyrs, la cathédrale Notre-Dame du Congo et le centre interdiocésain. Cette première visite du pape argentin aura été à la fois politique et apostolique. Réconciliation, cessation de violence, appel à des élections transparentes, amélioration de la situation sociale, dénonciation du colonialisme économique, lutte contre la corruption… Le Saint-père a posé un diagnostic complet de l’état de la RDC. Sera-t-il entendu ?
Bonjour,
Je suis Ange Makadi Ngoy, chercheuse à Ebuteli, institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence. Vous écoutez le quatrième numéro de la saison 3 de Po Na GEC, notre capsule audio qui donne notre point de vue sur une question d’actualité en RDC. Nous sommes le vendredi 3 février 2023.
Ne voit pas le pape qui le veut. C’était un événement important, voire historique en RDC. Le pape François, 86 ans, est le deuxième souverain pontife à visiter le plus grand pays de l’Afrique subsaharienne, après Jean-Paul II en 1980 et 1985 sous Mobutu. Une visite papale au Congo dans un contexte sécuritaire difficile et durant une année électorale. Pas surprenant que beaucoup attendaient le message du pape sur la question sécuritaire dans l’Est, notamment sur le soutien du Rwanda à la résurgence de la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), mais aussi sur les questions électorales, de justice et de paix.
Lors de son premier discours, le pape François n’a ménagé personne : autorités congolaises, communauté internationale et pays voisins, sans le nommer. Avec notamment cette phrase engagée : « Retirez vos mains de la RDC. » Pour les uns, il pointait là le soutien rwandais au M23 et pour les autres, le pape dénonçait plutôt les multinationaux.
Le pape François a d’ailleurs tenu à rencontrer à Kinshasa des victimes des atrocités de l’est de la RDC. Ce fut un point culminant de son voyage : proximité, consolation et affection aux populations meurtries. « Vos larmes sont les miennes; votre souffrance, la mienne », a-t-il dit après avoir écouté les témoignages poignants des victimes. « Faites taire les armes, mettez fin à la guerre », a insisté le pape, en appelant à la conscience des personnes, entités internes et externes qui « tirent les ficelles de la guerre en RDC ».
Le pape a aussi appelé à « favoriser des élections libres, transparentes et crédibles » en RDC. Un autre point important de sa visite est la rencontre avec les jeunes et catéchistes. Le souverain pontif les a appelé à dire non à la corruption. Il faut rappeler que la RDC occupe la 166e place sur 180 dans le dernier rapport sur l’indice de perception de la corruption.
Alors, après cette visite du pape dans le pays, peut-on espérer la fin des atrocités dans l’Est ? Kinshasa peut-il en tirer un gain diplomatique ? Possible. D’autant que le pape n’est pas simplement un chef religieux. Il est aussi un chef d’État. La RDC a réussi à attirer l’attention de près de 200 médias internationaux à la suite de cette visite du pape pour couvrir l’événement.Et l’appel du pape pour des élections crédibles sera-t-il suivi ? On sait que les animateurs de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), installés dans la controverse, continuent d’être contestés par certains leaders politiques.
En tout cas, cette visite vient, d’une certaine manière, renforcer le poids de l’Église catholique dans le jeu politique en RDC. L’Église catholique, ragaillardie, pourrait profiter de ce nouvel élan pour multiplier la pression en vue d’obtenir des garanties pour des élections crédibles et inclusives.
Le pape n’a pas seulement délivré un message sans détour, avec une synthèse de maux qui rongent le pays, il a aussi préconisé ses solutions : un gouvernement de proximité ; un pouvoir qui devient service ; un processus de paix étendu davantage aux femmes, jeunes et groupes marginalisés ; la recherche du bien commun ; la lutte contre l’impunité et le renforcement de la présence de l’État partout.
Mais, est-ce que l’on peut espérer ces changements ? À des gouvernants qui rendent des comptes à la population ? Au retour de la paix dans l’est du pays ? Pour cela, il faut que le message du pape dépasse les considérations politiques, religieuses, tribales et protocolaires. Son appel à la responsabilité doit continuer de résonner dans tout un chacun au lieu que les acteurs politiques et l’église catholique n’en tirent simplement des dividendes politiques ou économiques.
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