Skip to main content Skip to footer
Politique nationale
< Retour aux ressources

Nord-Kivu : peu d’électeurs, peu d’élus

Depuis une semaine, l’opération d’enrôlement se déroule timidement dans le Nord-Kivu, l’une des deux provinces sous état de siège. Dans le territoire de Rutshuru, occupé en grande partie par les rebelles du M23 soutenus par Kigali, très peu de centres d’inscription des électeurs sont opérationnels. Au risque d’impacter négativement sur le poids électoral de la province. Mais pas seulement.

Bonjour,

Je m’appelle Trésor Kibangula. Je suis analyste et directeur du pilier politique à Ebuteli, institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence. Vous écoutez le septième épisode de la saison 3 de Po Na GEC, capsule audio d’Ebuteli et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), centre de recherche indépendant basé à l’Université de New-York. Chaque semaine, ce podcast donne notre point de vue sur une question d’actualité en RDC. 

Nous sommes le vendredi 24 février 2023.

Le Nord-Kivu attend 4 041 090 électeurs. Du moins, sur le papier. Cette projection de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) suggère une augmentation d’au moins 5 % du nombre des votants dans cette province par rapport à 2016. Ce qui en soi n’a aucune incidence positive sur le poids électoral de la province. Au contraire : avec le Kwilu, le Haut-Katanga, le Lualaba, l’Ituri, le Maniema, le Nord-Kivu fait partie des six entités qui pourraient voir le nombre de leurs députés nationaux baisser. Conséquence éventuelle du « rééquilibrage » des centres d’inscription des électeurs et de la projection du nombre d’électeurs attendus opérés par la Ceni. Objectif : mettre fin à la prétendue sous-représentation de la région du Kasaï lors de trois premiers cycles électoraux, selon des responsables de la Ceni. Hier, les électeurs du Nord-Kivu représentaient donc 10 % du poids électoral national, aujourd’hui, ils ne vaudront plus que 8 %. 

Ces 8 % ne tiennent pas compte de la dégradation de la situation sécuritaire dans cette partie du pays. Aujourd’hui, « au moins 602 000 personnes sont en situation de déplacement dans les territoires de Rutshuru, Nyiragongo, Masisi, Walikale, Lubero et la ville de Goma, à la suite des affrontements armés depuis mars 2022 », selon le dernier « rapport de situation » du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Ocha) en collaboration avec ses partenaires humanitaires en RDC. Au total, « sur plus de 5,7 millions de personnes déplacées en RDC, plus de 80 % sont dus à des attaques et affrontements armés (…) et au moins 2 millions de personnes ont fui leurs maisons depuis janvier 2022 », selon Ocha.

Théoriquement, la Ceni peut enrôler les personnes déplacées par les conflits armés. En tout cas, les mesures d’application de la loi portant identification et enrôlement des électeurs prévoient cette possibilité. Mais, dans les faits, ce n’est pas si évident. Non seulement du point de vue logistique, mais aussi en ce qui concerne l’adhésion éventuelle des déplacés à cette démarche.

L’équation est si complexe qu’en début de semaine, la Ceni n’avait pu lancer l’enrôlement des électeurs que dans quatre sur 285 centres d’inscriptions initialement prévus à Rutshuru. Dans ces conditions, on voit mal comment cette province pourrait atteindre le nombre d’enrôlés attendus. Ce qui pourrait porter un autre coup au poids électoral du Nord-Kivu, avec des conséquences sur la répartition des sièges notamment à l’Assemblée nationale. 

Ce scénario risque de susciter non seulement des frustrations mais aussi des tensions politiques dans le pays. Car il entraînerait une sous-représentation demain du Nord-Kivu à l’hémicycle. Ce qui légitimerait davantage l’idée d’une démocratie à double vitesse en RDC. D’un côté, des provinces mieux à mêmes de mobiliser leurs électeurs pour mieux peser sur l’échiquier politique national et, de l’autre, des provinces en proie à l’insécurité des groupes armés nationaux et étrangers incapables de mobiliser tous leurs électeurs. En 2018, des Congolais de Beni, Butembo et de Yumbi avaient été exclus du vote de leur président de la République. En 2023, d’autres Congolais, notamment à Rutshuru donc, n’auront probablement pas le droit de s’enregistrer comme électeurs. 

Cette configuration pose sérieusement la question de l’inclusivité des élections à venir. Car lorsqu’on parle d’un scrutin inclusif, il ne s’agit pas seulement de la possibilité de tous les candidats éligibles d’y participer. Il est également question de la participation de tous les électeurs, voire de tous les Congolais majeurs qui souhaitent prendre part aux opérations électorales. Ce qui, aujourd’hui, par la force des choses, paraît impossible à garantir. D’autant que, fin 2022, la Cour constitutionnelle a tranché : « Tous les Congolais ont le droit d’être électeur et de bénéficier, sauf cas de force majeure, de services de la Ceni pour se faire identifier et enrôler. » Une brèche d’exclusion légale.

En attendant, rejoignez notre fil WhatsApp en envoyant « GEC » ou « Ebuteli » au +243 894 110 542 pour recevoir Po Na GEC chaque vendredi sur votre téléphone. À bientôt !

Share this