Skip to main content Skip to footer
Politique nationale
< Retour aux ressources

Haut-Uélé : le gouverneur déstabilisé par une enquête de l’IGF

À moins de quatre  mois des prochaines élections nationales et provinciales, le gouverneur de la province du Haut-Uélé, Christophe Basaene Nangaa, est déstabilisé par la fuite d’une lettre accablante de l’Inspection générale des finances (IGF) concernant sa gestion. Pour ce partisan du président Félix Tshisekedi, et frère de l’opposant Corneille Nangaa, les conséquences demeurent imprévisibles.

Par Adolphe Agenonga Chober, chercheur principal pour les Uélé à Ebuteli.

C’est au travers d’un communiqué de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (Asadho) que les acteurs politiques et de la société civile du Haut-Uélé ont découvert, le 1er juillet, l’existence d’une lettre accablante de l’Inspection générale des finances (IGF) datée du 26 avril. Celle-ci énumère les conclusions d’une mission de contrôle effectuée en février dans cette province et allègue des malversations financières du gouverneur Christophe Baseane Nangaa,  à la tête de la province du Haut-Uélé depuis 2019. Selon l’IGF, plus de 49 millions de dollars américains et 26 milliards de francs congolais (un peu plus de dix millions de dollars américains) auraient été détournés depuis 2020.  

Quels griefs ont-ils été retenus contre  le gouvernement du Haut-Uélé  ? 

Au total, huit griefs ont été retenus à l’encontre du gouvernement provincial. L’IGF lui reproche d’abord la « pré-affectation des recettes de péage à la source et leur détournement à des fins privées », ou encore le « défaut de paiement des agents et cadres de la province ainsi que des anciens ministres provinciaux » – deux accusations qui ne sont toutefois pas chiffrées.

D’autres griefs sont mieux évalués : le « prélèvement anticipé des recettes fiscales des exercices 2023, 2024 et 2025 auprès de Kibali Gold et leur utilisation sans pièces justificatives retracées à la comptabilité de la province pour un montant total de  2 750 000  dollars américains »,  le « recours prohibé aux prêts bancaires, du reste, non retracés dans la comptabilité de la province pour un montant total de 6 407 233,19 dollars américains », la « présomption de détournement des fonds de rétrocession du Pouvoir Central au profit de la province pour un montant total de  2 165 812 999  francs congolais pour les exercices 2020-2021 », la « présomption de détournement des recettes de péage aux points Legou, Obongoni, Bafuabaka, Bolebole, Boh, Ngbongboti dont  2 880 000 000  francs congolais estimés pour l’année 2022 et 1 4457941764 francs congolais pour le péage de Boh » ou encore des « sorties des fonds de la banque sans pièces justificatives, évaluées à  4 805 155,28 dollars américians et 7 264 697 576  francs congolais entre 2022 et 2023 ». 

Enfin, l’IGF allègue des « irrégularités aggravées dans la passation des marchés publics évalués à 35 409 003 dollars américains », sans toutefois donner de détails sur la nature de ces irrégularités, alors qu’il s’agit du principal montant non retracé par les enquêteurs. Avant de tirer les conclusions de son enquête, l’IGF avait invité, le 6 avril, le gouverneur du Haut-Uélé et son ancien ministre provincial des Finances à se rendre à Kinshasa avec toutes les pièces justificatives pour répondre à ces soupçons. Visiblement, les éléments présentés par les deux hommes n’ont pas convaincu les inspecteurs. 

Le gouverneur s’est néanmoins défendu en estimant que ce rapport « n’est pas exhaustif […] Il n’y a jamais eu détournement et s’il y avait détournement, on ne pouvait pas constater l’accroissement qui est dans la province ». Le gouvernorat a par ailleurs accusé des « officines hostiles au développement de la province » d’être à l’origine de ces accusations. Après l’appel à l’incivisme fiscal lancé le 10 juillet par le président du conseil provincial de la Fédération des entreprises du Congo (FEC)/Haut-Uélé, le gouverneur a également qualifié cette initiative de « tentative de rébellion qui a ses ramifications à Kinshasa » 

La thèse d’une instrumentalisation politique du rapport de l’IGF est-elle plausible ? 

La fuite des conclusions de la mission de l’IGF est intervenue alors que Corneille Nangaa Yobeluo, le frère aîné du gouverneur Christophe Baseane Nangaa, avait annoncé  sa candidature à l’élection présidentielle. Cette enquête pourrait-elle avoir eu pour but de décrédibiliser un rival électoral du président Tshisekedi en s’attaquant à son frère ?  

On peut d’abord noter que l’équipe de contrôle de l’IGF était déjà en mission à Isiro le 25 février, jour où Corneille Nangaa a officiellement annoncé sa candidature. La décision d’effectuer ce contrôle n’a donc pu être prise qu’avant cette annonce.  

Néanmoins, la fuite des conclusions de la mission de l’IGF suscite des interrogations dans le Haut-Uélé, car des contrôles similaires ont eu lieu dans d’autres provinces sans pour autant que leurs résultats soient publiés. L’IGF semble également avoir donné des suites différentes à des requêtes similaires selon les provinces. Par exemple, au mois d’avril, l’IGF avait reçu, tour à tour, le caucus des parlementaires du Haut-Uélé et les députés provinciaux du Sud-Kivu, où une mission avait eu lieu dès octobre 2002. Tous souhaitaient se voir communiquer les résultats des missions effectuées dans leurs provinces respectives. 

En réponse, l’IGF avait promis de rendre public son rapport dans le Haut-Uélé après sa finalisation – ce qu’elle n’a pas encore fait à ce jour – alors que les députés provinciaux du Sud-Kivu ont simplement été renvoyés à ses services. Néanmoins, certaines allégations de l’IGF au moins semblent être soutenues par des éléments précis, comme cette lettre, qui avait fuité, sur les réseaux sociaux, à travers laquelle Raphaël Ebunze, ancien ministre provincial des Finances demandait un financement anticipé de deux millions de dollars américains à la société minière Kibali Gold Mines (KGM), pour l’exercice 2024-2025.  

À la suite de cette affaire, le député provincial Hervé Ndute avait déposé une motion de défiance qui a poussé Raphaël Ebunze à la démission le 4 février.Par ailleurs, il faut noter que Christophe Nangaa qui est resté membre de l’Union sacrée pour la nation (USN, coalition au pouvoir) en dépit du passage de son frère à l’opposition, est candidat  à la députation nationale et provinciale lors des prochaines élections, qui doivent se tenir en décembre 2023

Quelles conséquences politiques cette affaire pourrait-elle avoir ?

Le 7 juillet, les organisations de la société civile des territoires de Faradje et Watsa ont tenu une réunion élargie au cours de laquelle elles ont réclamé, entre autres, la suspension du gouverneur par le vice-ministre de l’Intérieur ou sa destitution par les députés provinciaux. Dans une autre réunion tenue le 17 juillet, la synergie des organisations de la société civile de Watsa ont décrété deux journées « ville morte » à partir du 20 juillet, l’incivisme fiscal et la fermeture des postes de péages sur l’ensemble de ce territoire.

Cet appel de la société civile a entraîné la paralysie des activités économiques. Des postes de perception des taxes ont par ailleurs été saccagés à Watsa, Dungu et Faradje. Le 10 juillet, la synergie des organisations de la société civile du territoire de Niangara avait également publié un communiqué, décrétant la suspension de toutes les taxes provinciales, tout en recommandant aux députés provinciaux « …d’inciter une motion de censure contre le gouvernement provincial de peur d’être traités comme des complices pour être sanctionnés par le peuple souverain ». 

Le même jour, le conseil provincial de la FEC/Haut-Uélé, a instruit les opérateurs économiques de suspendre leurs paiements des taxes provinciales « jusqu’à la conclusion du dossier au niveau de la justice ». Cette mesure a consacré la résiliation de l’accord signé entre la FEC et le gouvernement provincial du Haut-Uélé définissant une liste de 34 taxes conventionnelles qui devaient être collectées en vue de la reconstruction de cette province.

En réaction, le gouvernement provincial a convoqué une assise avec les organisations de la société civile du Haut-Uélé à l’issue de laquelle un protocole d’accord inclusif du recouvrement de la taxe conventionnelle spéciale pour la reconstruction du Haut-Uélé a été signé le 16 juillet. Le conseil provincial de la FEC et les organisations de la société civile de Niangara, Dungu, Faradje et Watsa ont refusé d’y prendre part. Seules la Fédération nationale des artisans des petites et moyennes entreprises (Fenapec), la société civile forces vives, la nouvelle société civile et la société civile du peuple congolais y ont assisté.

Depuis, les mouvements de contestation semblent se durcir : à Dungu, la société civile a également appelé la population à l’incivisme fiscal le 24 juillet. La société civile du territoire d’Aru en Ituri a décidé qu’à partir du 22 juillet, aucun camion n’effectuera de mouvement vers le Haut-Uélé, entraînant l’établissement de barricades le long de la route reliant l’Ituri et le Haut-Uélé. 

Par ailleurs, le 26 juillet, des postes de péage des taxes dans les territoires de Watsa et Dungu ont été saccagés.Pour apaiser ces tensions, le gouverneur du Haut-Uélé a ordonné le passage gratuit, jusqu’au 28 juillet, des véhicules bloqués dans le territoire de Faradje.

Il a ensuite reconnu que le protocole de recouvrement de la taxe conventionnelle spéciale signé le 16 juillet et contesté par plusieurs organisations de la société civile, n’avait pas favorisé un climat de bonne entente. Pour cela, il a convoqué une autre réunion avec toutes ces organisations qui a abouti à la signature d’un nouvel accord le 4 août. Celui-ci concède une réduction de 10% des taxes provinciales par rapport aux accords antérieurs, mais sans apaiser les organisations de la société civile des territoires de Faradje et Watsa qui, à travers un communiqué conjoint signé le 8 août, maintiennent l’incivisme fiscal et promettent le début  des « actions citoyennes » à partir du 14 août.

Pendant ce temps, deux mouvements citoyens (Haut-Uélé ma Province et la Lutte pour le changement, Lucha ) ont déposé une plainte contre le gouverneur Christophe Basaene Nangaa, le 26 juillet, au parquet général d’Isiro.

Les pressions des forces sociales pourraient-elles changer la donne face au silence de la justice et du gouvernement central ?

Au niveau national, seule l’Asadho a recommandé, à travers son communiqué du 1er juillet, au président de la République de s’intéresser à cette affaire dans le cadre de sa politique de lutte contre la corruption ainsi qu’au procureur près la Cour de cassation d’ouvrir une enquête judiciaire. En plus, elle a recommandé à l’Assemblée provinciale d’initier une motion de censure contre le gouverneur du Haut-Uélé, une recommandation reprise par les organisations de la société civile des territoires de Niangara, Dungu, Faradje et Watsa.

Au stade actuel, au niveau du gouvernement central, seul le Vice-premier ministre et ministre de l’Interieur, Peter Kazadi s’est rendu à Isiro le 31 juillet pour tenter de désamorcer les tensions suscitées par les conclusions du rapport de l’IGF. A l’issue de sa mission, il a appelé les parties au dialogue autour de taxes qui les divisent et les députés provinciaux à assumer correctement leurs devoirs, plutôt que de laisser la population agir à leur place, un discours diversement interprété notamment par les acteurs de la société civile.

Au niveau provincial, le député Hervé Ndute, élu de la ville d’Isiro et auteur de la motion ayant précipité la démission de l’ancien ministre provincial des Finances, a annoncé le 16 juillet, une motion contre le gouverneur du Haut-Uélé. Si cette démarche pourrait bien être soutenue par une partie de la population, son appartenance à Ensemble pour la République (le parti de l’opposant Moïse Katumbi) semble constituer un obstacle à une mobilisation plus large.

Dans un contexte politique marqué par de fortes tensions pré-électorales, l’opinion du Haut-Uélé semble divisée sur l’opportunité de destituer le  gouverneur. Certains perçoivent la motion d’Hervé Ndute comme une tentative de déstabilisation, par un opposant, d’un gouverneur membre de l’USN.

Il n’est pas non plus sûr qu’une telle motion soit adoptée par les députés provinciaux dont certains sont des suppléants des ministres provinciaux qui pourraient vouloir  conserver leurs postes. Dans un entretien diffusé sur une radio locale basée à Watsa, Soso ya Mboka, le président de l’Assemblée provinciale, Afaounde Sumbu, a même jugé « inopportune » la déchéance ou la démission du gouverneur.

De son côté, Jacques Dusa, député provincial élu  de Dungu, accuse le bureau de l’Assemblée provinciale d’être à la solde du gouvernement provincial.Un grand nombre des leaders politiques de cette province, majoritairement membres de l’USN, se trouvent devant un dilemme. D’une part, ils ont le devoir de solidarité envers les membres de leur regroupement politique sous peine d’être considérés comme des « renégats ». D’autre part, ils sont sous la pression de la société civile qui les menace des sanctions dans les urnes au cas où ils resteraient permissifs.

Share this