Le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) de l’Université de New York publie aujourd’hui un nouveau rapport sur la rébellion des Allied Democratic Forces (ADF), basée dans le territoire de Beni dans le nord-est de la République démocratique du Congo. Le rapport påeut être téléchargé en anglais et en français, et un site dédié au rapport contenant les vidéos est accessible ici.
Le territoire de Béni, dans l’Est de la République démocratique du Congo, a été le théâtre d’une violence sans précédent dans l’histoire récente du pays. Cependant, les massacres perpétrés autour de Béni, qui ont débuté en octobre 2014 et ont fait plus de 1 000 victimes, sont auréolés de mystère. Aucun groupe n’a officiellement revendiqué la responsabilité des tueries. Les recherches menées par le GEC et le Groupe d’experts des Nations unies laissent entendre que de nombreux acteurs, et notamment le gouvernement congolais, y ont participé.
Les ADF sont un acteur important dans ce conflit. Depuis la fin des années 90, ce groupe a commis des massacres brutaux, des enlèvements et des pillages dans la région et ce, souvent en collaboration avec des milices et des dirigeants locaux. C’est l’un des groupes armés les plus meurtriers des Kivus. Étant donné l’absence de désertions importantes, sa stricte discipline interne et le manque de communication avec l’extérieur, comprendre ses motivations, son organigramme interne et ses points de soutien s’est avéré une tâche difficile. Ce rapport, qui a été soutenu par la Fondation Bridgeway, donne un aperçu peu commun de cette organisation.
Entre 2016 et 2017, un membre des ADF a publié au moins 35 vidéos sur des réseaux sociaux privés tels que Telegram, Facebook et YouTube. D’après des événements mentionnés ou mis en scène dans les vidéos, nous pouvons déduire qu’elles ont probablement été enregistrées à un moment donné au cours des années 2016 et 2017. Les vidéos montrent des attaques des ADF, des soins prodigués à leurs blessés, des démonstrations d’arts martiaux, des séances d’endoctrinement d’enfants et des messages de propagande.
Accompagnées d’une dizaine d’entretiens menés auprès de déserteurs ADF et de la société civile locale à Béni, ces vidéos suggèrent les informations suivantes :
- Le groupe s’efforce à tenter de se rallier à d’autres groupes djihadistes, sous le nom de Madina at Tauheed Wau Mujahedeen (MTM, « La ville du monothéisme et des monothéistes ») ; il arbore un drapeau semblable à celui utilisé par Al-Shabaab, Al-Qaida, ISIS et Boko Haram et met fortement l’accent sur une interprétation radicale et violente du Coran. La récente arrestation d’un intermédiaire financier kényan d’ISIS a révélé les premiers liens concrets qui unissent les ADF à d’autres groupes djihadistes par le biais de transactions banquières.
- Bien que les Ougandais semblent être encore à la tête des ADF – aucun d’entre eux n’apparaît dans les vidéos – la propagande de ces vidéos s’adresse à un public beaucoup plus large de l’Afrique de l’Est qui parle le kiswahili, le luganda, l’arabe, le français et le kinyarwanda. Le kiswahili et des dialectes congolais et tanzaniens, qui sont les langues les plus répandues dans la région, sont largement utilisées dans les vidéos. Deux Burundais y sont également filmés.
- Les femmes et les enfants jouent un rôle important dans l’organisation. Dans deux vidéos, on les voit participer activement à des attaques, à des pillages et porter des armes. Plusieurs vidéos plus anciennes, enregistrées avant la récente escalade de violence, montrent au moins 70 à 80 enfants en train de se faire endoctrinés et suivant une formation militaire. Les femmes sont aussi très présentes dans plusieurs vidéos, on les voit dans leur rôle de combattantes, lisant le Coran et soignant des soldats blessés.
- Les ADF semblent vouloir modifier leur image au moment où l’organisation fait face à des pressions militaires et à un changement de leadership. Alors que les interprétations radicales de l’islam existent depuis longtemps chez les ADF, les déclarations que font les combattants dans ces vidéos encouragent et banalisent plus effrontément les actes de violence contre les « infidèles », les civils et les soldats, et appellent leurs collègues à se joindre à leur cause en devenant des martyres.
Il est important de souligner que les gouvernements ougandais et congolais ont tous deux utilisé la présence de la menace islamiste à leur profit dans le passé, et que de nombreux autres acteurs des alentours de Béni sont impliqués dans les actes de violence qui y ont éclaté. Trouver une solution à la violence perpétrée dans la région de Béni impliquera d’analyser sa complexité. Comme l’ont indiqué les rapports précédents du GEC, des opérations militaires ciblées et responsables menées contre les différents groupes armés présents dans la région font partie de cette complexité. Cependant, la manière dont les ADF sont interconnectées et liées à d’autres groupes armés locaux poussera aussi à exiger de l’administration locale et des services de sécurité qu’ils rendent davantage compte de leurs actions, en démantelant des réseaux de contrebande et de racket et en ciblant les réseaux de recrutement et de soutien régional des ADF.