Ce mardi 20 septembre, c’est près de la moitié des 39 minutes de son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies que le président Félix Tshisekedi a passé à parler de la sécurité dans l’est de la RDC, et en particulier du rôle du Rwanda et de son soutien au M23. Bien sûr, il a abordé de nombreux autres sujets : le changement climatique, la parité hommes-femmes et la guerre en Ukraine, mais il était clair que l’implication du Rwanda dans son pays était au centre de ses préoccupations. Que faut-il penser de ce discours ?
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Je suis Jason Stearns, le directeur du Groupe d’étude sur le Congo, un centre de recherche indépendant basé à l’Université de New-York qui travaille avec Ebuteli, son partenaire de recherche en RDC. Bienvenue dans ce 30e épisode de la saison 2 de Po Na GEC, notre capsule audio qui décrit et analyse chaque semaine un sujet de l’actualité congolaise.
Il s’agissait peut-être de sa dénonciation la plus vigoureuse de l’implication du Rwanda à ce jour. « Je dénonce, en ce lieu emblématique de la vie internationale, avec la dernière énergie, cette énième agression dont mon pays est victime de la part de son voisin, le Rwanda, sous couvert d’un groupe terroriste dénommé M23 ». Tshisekedi a souligné que cela constituait une violation du droit international et que le Rwanda était complice de crimes de guerre lorsque le M23 a abattu un hélicoptère de l’ONU, tuant 8 soldats de la paix. Il s’agissait peut-être aussi d’une réponse au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui avait déclaré la veille que la Monusco n’était pas capable de battre le M23, mais sans mentionner l’implication rwandaise.
Devant cette plus grande réunion annuelle de diplomates et de fonctionnaires de l’ONU, il a présenté une liste de demandes : le retrait du M23, des pressions sur le Rwanda et le déploiement d’une force régionale. Sans surprise, le gouvernement rwandais a nié ces allégations ; dans son propre discours le lendemain, le président Kagame a simplement déclaré : « Pointer du doigt ne résout pas les problèmes ».
La campagne de Tshisekedi fonctionnera-t-elle ? Il y a peu de signes de pression sur le Rwanda pour le moment. Depuis la visite du secrétaire d’État américain Antony Blinken à Kigali début août, il n’y a pas eu d’effort diplomatique supplémentaire visible de la part du gouvernement américain, bien qu’il y ait également eu relativement peu de combats sur le terrain. Et les autres principaux bailleurs de fonds du Rwanda – le Royaume-Uni, dont la nouvelle première ministre affirme qu’il maintiendra le plan controversé d’envoi de demandeurs d’asile au Rwanda, la France et l’Union européenne – n’ont pas ou peu parlé du soutien rwandais au M23 depuis le début de cette escalade en novembre dernier.
Pendant ce temps, les diplomates rwandais et Kagame lui-même ont occupé une place de choix dans diverses réunions, tables rondes et réceptions de l’ONU à New York cette semaine. Dans leurs discours au podium à l’ONU, les présidents Macron, Biden et Sall ont tous parlé des grandes crises mondiales, mais aucun n’a mentionné le Congo.
Le dossier de Tshisekedi aurait pu être plus étoffé. Plusieurs inexactitudes et déformations ont sapé l’idée maîtresse du discours. D’une part, il a célébré le récent rapport du groupe d’experts de l’ONU qui a documenté le soutien rwandais au M23, alors que d’autre part, il a déclaré qu’il n’y avait « aucun fait avéré sur le terrain » pour prouver la collaboration entre l’armée congolaise et les FDLR – bien que ce même rapport de l’ONU contienne de telles preuves. Il n’a pas non plus mentionné les échecs de l’armée et de l’État congolais, même avec l’état de siège décrété en leur faveur au Nord-Kivu et en Ituri, qui n’ont pas été en mesure de vaincre non seulement le M23 mais aussi les dizaines d’autres groupes armés dans l’est du Congo, dont certains sont bien plus meurtriers. Il a plutôt suggéré que l’État congolais était victime d’une agression étrangère, ainsi que des sanctions occidentales. Ce dernier point prête à confusion : la seule restriction imposée par l’ONU au Congo est que son secrétariat soit informé de la vente d’armes, ce qui est de toute façon rarement fait, sans aucune sanction pour les contrevenants.
Compte tenu de cette inertie diplomatique, il semble que la prochaine étape sera très probablement militaire – soit par la mise en place de la force militaire régionale que la Communauté d’Afrique de l’Est a autorisée, soit par des actions de l’armée congolaise ou du M23 sur le terrain. En attendant, la ville frontalière de Bunagana et ses environs sont toujours sous le contrôle de ce groupe armé.
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