Depuis plus d’un an, les fonctionnaires de la RDC font face à des retards de paiement récurrents. En avril, Nicolas Kazadi, ministre des Finances, a attribué ces retards aux dépenses liées aux opérations militaires dans l’est du pays et au processus électoral. Cependant, cette justification, basée sur la conjoncture économique, n’est que partielle. Même au sein de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et du haut commandement des services de sécurité, on constate des plaintes similaires. Malgré l’annonce du gouvernement Sama Lukonde d’un budget historique de 16 milliards de dollars pour l’année 2023, l’incapacité de l’État à respecter ses engagements envers ses agents avant la fin du mois met en évidence les problèmes structurels de gestion de la masse salariale des fonctionnaires et suscite des inquiétudes quant à la santé économique du pays.
Entre charges légitimes et fuites financières
Depuis de nombreuses années, la RDC se débat pour maîtriser sa masse salariale, qui représente une part importante du budget national. Au cours du premier trimestre de 2022, par exemple, le gouvernement avait payé plus de 1,8 milliard de francs congolais (soit plus de 900 millions de dollars). Ce qui représente plus de la moitié des dépenses courantes. Cette situation alarmante, au regard des maigres ressources budgétaires du pays, suscite sans cesse l’attention des bailleurs de fonds tels que le Fonds monétaire international (FMI), qui invite toujours le gouvernement congolais à maîtriser la masse salariale.
Aujourd’hui, le gouvernement congolais se trouve dans une impasse : les régies financières ne sont pas en mesure de mobiliser les ressources pouvant lui permettre d’atteindre le budget de 16 milliards de dollars américains. Pour y arriver, la lutte contre la corruption devait produire ses effets dans toutes les administrations ayant pour mission de recouvrer les recettes fiscales et non fiscales (Direction générale des impôts, Direction générale des douanes et accises, Direction générale des recettes, administratives et domaniales). Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Par ailleurs, cette corruption se manifeste aussi par la présence des fonctionnaires fictifs qui sont indûment rémunérés par le trésor public, alourdissant ainsi les dépenses publiques. En 2022, le ministère de la Fonction publique avait révélé plus de 380 000 fonctionnaires fictifs, entraînant une perte mensuelle d’environ 149 milliards de francs congolais (soit plus de 70 millions de dollars américains). Ce problème est profondément enraciné dans le fonctionnement même de l’administration congolaise caractérisé par les cas de détournement fréquents : en mai, les comptes bancaires de 30 cadres du ministère du Budget, intervenant dans le processus de paie, ont été gelés en raison de rémunération indûment perçue auprès d’administrations autres que celles où ils étaient affectés.
Le paradoxe du budget de 16 milliards de dollars américains
Outre les réformes structurelles nécessaires et les poursuites judiciaires contre les responsables, les retards récurrents dans la paie des fonctionnaires remettent en question la véracité du budget 2023 annoncé par le gouvernement Sama Lukonde, ainsi que les lacunes de l’autorité budgétaire. Malgré la conjoncture nationale et internationale défavorable, marquée par la guerre dans l’est du pays et la guerre en Ukraine qui ont impacté l’économie congolaise déjà sévèrement affectée par le Covid-19, le gouvernement devrait faire preuve de réalisme pour le budget en cours. Les retards de paiement des fonctionnaires sont clairement dûs au manque de financement du trésor public par les régies financières.
Il est crucial de réduire les dépenses des institutions et d’éviter la création d’agences gouvernementales coûteuses, étant donné que les recettes publiques attendues ne sont pas suffisantes. Paradoxalement, les dirigeants congolais ont tendance à faire le contraire. Les prochaines élections nécessitent des ressources publiques, mais les potentiels candidats au pouvoir s’opposent à toute réduction des avantages excessifs liés à leurs fonctions. Le gouvernement congolais a recouru à l’adjudication des bons de trésor pour faire face à certaines dépenses contraignantes. Cependant, les contraintes structurelles du marché monétaire en RDC empêchent une mobilisation rapide des ressources nécessaires pour atteindre l’équilibre financier. Le recours à la planche à billet présente le désavantage d’accentuer l’inflation comme on l’observe déjà depuis le début de cette année.
Ce tableau sombre soulève plusieurs interrogations légitimes, notamment en ce qui concerne l’écart entre le budget voté et le budget exécuté. Chaque année en septembre, le Parlement congolais, en tant qu’autorité budgétaire, vote de manière assez rituelle et sans critique tous les budgets présentés par le gouvernement. Les deux chambres procèdent ensuite à la reddition des comptes sans pour autant sanctionner les inadéquations entre les prévisions et les dépenses, surtout avec le recours, très fréquent, des décaissements par procédure d’urgence. Ceci démontre un contrôle passif et faible de l’autorité budgétaire. Le pays est ainsi contraint de dépendre des appuis budgétaires des institutions internationales.
L’intervention rapide du FMI
Le conseil d’administration du FMI a finalement approuvé un décaissement immédiat de 203,3 millions de dollars américains pour aider le gouvernement congolais à faire face à la détérioration alarmante de la situation économique et à reconstituer les réserves de change. Le FMI a souligné la nécessité d’une politique monétaire plus restrictive pour réduire les pressions inflationnistes en vue de faire face aux pressions macroéconomiques et aux risques imminents, notamment l’inflation.
Cependant, les poids formel et informel des élections sur les institutions publiques exposent les finances publiques à des abus et compromettent la politique monétaire. À court terme, cette intervention du FMI pourrait permettre au gouvernement de mieux respecter ses engagements envers les fonctionnaires et contribuer à réduire les tensions sociales pendant cette période critique d’organisation des élections en RDC.
Albert Malukisa, directeur du pilier gouvernance et Jacques Mukena, chercheur principal en gouvernance à Ebuteli.