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Conflit violent
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Shabunda et Kalehe, ces territoires de l’est de la RDC où la violence est en baisse

Alors que la violence est généralement en hausse dans l’est de la RDC ces dernières années, deux territoires font exception : ceux de Shabunda et Kalehe, au Sud-Kivu. Pourquoi ? Et est-ce durable ?

Dans la deuxième moitié de l’année 2017, alors que le Baromètre sécuritaire du Kivu (KST) commençait ses relevés, les territoires de Shabunda et Kalehe faisaient partie des plus dangereux pour les civils. Kalehe était le quatrième territoire sur lequel le plus de morts violentes était recensé, sur dix-sept entités du Nord et du Sud-Kivu, et Shabunda le huitième, totalisant 68 morts à eux deux. Lors du premier semestre de 2022, ils étaient respectivement onzième et quinzième totalisant seize civils tués.

Tout au long de la période, une baisse continue du nombre d’incidents a été observée pour chacun des types d’incident enregistrés par le KST et sur chacun des deux territoires (à l’exception d’une légère hausse sur le territoire de Kalehe entre 2018 et 2019).

Shabunda                                                                                            

Kalehe

Ces chiffres témoignent d’une tendance notable à la baisse de la violence sur ces deux territoires, qui contraste avec l’augmentation de l’insécurité enregistrée presque partout ailleurs dans l’est de la RDC, notamment dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, qui vivent sous état de siège depuis mai 2021. 

Existe-t-il une dynamique particulière à ces territoires qui pourrait expliquer ces tendances ?

Shabunda et Kalehe, deux territoires voisins du Sud-Kivu n’ont pas toujours été particulièrement calmes. À partir de 2012, cette zone a même été le berceau d’un nouveau type de groupe armé : les Raia Mutomboki (« citoyens en colère ») ou RM. Au cours d’une vague de mobilisation très rapide, ces groupes se sont formés, en recrutant principalement sur base communautaire, notamment au sein des communautés Rega à Shabunda et Tembo à Kalehe pour combattre les groupes armés étrangers présents dans la zone. Leur cible principale était les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) de Sylvestre Mudacumura et plus tard le Conseil national pour le renouveau de la démocratie (CNRD)-Ubwiyunge dirigée par Wilson Irategeka, deux rébellions hutu rwandaises hostiles au gouvernement de Kigali mais présents sur le territoire congolais. En dépit d’exactions, cette mobilisation et ces cibles étrangères revendiquées ont pu donner une forme de légitimité populaire aux Raia Mutomboki dans cette zone.

Le mouvement a également progressivement élargi ses modes opératoires et ses objectifs, avec notamment des revendications de portée politique nationale. 

En septembre 2017, alors que l’ancien président Joseph Kabila s’était maintenu au-delà de la limite constitutionnelle, des factions Raia Mutomboki avaient par exemple pris le contrôle de la route principale de la ville de Bunyakiri, conditionnant leur retrait au départ de Kabila. 

Le basculement de l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi

L’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, début 2019, semble avoir été un premier facteur d’apaisement dans ces territoires. Certaines factions RM ont pris l’initiative de rejoindre les camps de cantonnement dans l’objectif de bénéficier d’un programme de désarmement, démobilisation et réintégration. Cette année-là, des centaines des combattants Raia Mutomboki Ngubito se sont rendus à et ont été cantonnés à Nyamunyunyi pendant au moins trois mois. Même si ces initiatives n’ont pas été durables, fautes de prise en charge notamment, elles ont pu constituer un pas vers la relative accalmie.

L’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi a également donné lieu au  rapprochement du gouvernement congolais avec le gouvernement rwandais. Dans le secteur sécuritaire, ce rapprochement a abouti à des échanges de renseignement et à une série d’opérations conjointes secrètes entre l’armée congolaise et l’armée rwandaise, visant principalement les rébellions hutus rwandaises présentes en RDC, dont les FDLR, les CNRD et le RUD-Urunana, présents au Nord-Kivu et au Sud-Kivu. Plusieurs leaders de ces groupes ont été tués, dont notamment le chef militaire des FDLR Sylvestre Mudacumura et Juvenal Musabimana, alias « général Jean Michel Africa », commandant du RUD-Urunana, une autre faction dissidente des FDLR, sur le territoire de Rutshuru.

Mais c’est sans doute contre le CNRD et dans la province du Sud-Kivu que ces opérations ont eu le plus grand impact. Pendant plusieurs semaines, entre novembre 2019 et janvier 2020, des RDF et des FARDC, appuyés par des miliciens Raia Mutomboki et du Nduma defence of Congo-Rénové, ont mené une longue offensive qui a presque entièrement vaincu le CNRD. Au final, près de 300 rebelles et près de 2000 dépendants ont été rapatriés au Rwanda au cours des opérations. Quant à son chef, Wilson Igatereka, il est décédé, probablement de blessures dans des affrontements.

Cette opération n’est pas allée sans exactions. Plusieurs dizaines de dépendants des rebelles CNRD y ont trouvé la mort, selon les chiffres du KST. La question de leur légalité se pose aussi, le parlement congolais n’ayant pas été consulté comme cela devrait être le cas. Néanmoins, en 2020, lors de la dernière cartographie des groupes armés du KST, la zone d’opération du CNRD avait nettement rétréci par rapport à 2017 : le groupe était désormais cantonné à des poches reculées du Sud-Kivu.

De boucliers à prédateurs

Après le retrait de Joseph Kabila et la quasi-disparition des groupes armés étrangers dans le territoire de Kalehe, la légitimité populaire des groupes Raia Mutomboki s’est progressivement affaiblie. 

Néanmoins, ces miliciens n’ont pas immédiatement déposé les armes pour autant. Pour survivre économiquement, ces groupes semblent davantage avoir eu recours à des braquages sur les routes, des taxations illégales, notamment grâce à la tenue de barrières routières, mode opératoire courant des groupes armés dans l’est de la RDC. 

Dans le territoire de Shabunda, les Raia Mutomboki sont en outre rendus coupables de braquages et d’enlèvement sur les routes menant vers des centres de négoces, les sites miniers ainsi que sur les routes reliant ce territoire à Bukavu, la capitale provinciale.

Les Raia Mutomboki vaincus par les FARDC

Ces exactions ont contribué à décrédibiliser davantage ces groupes aux yeux de la population de la zone. Celle-ci semble avoir dès lors été plus encline à collaborer avec les FARDC, lesquelles sont parvenues à des résultats rares dans l’Est de la RDC. La perte de légitimité des Raia Mutomboki aux yeux de la population et le volontarisme du commandement des FARDC dans la zone pourraient expliquer ces résultats encourageants. Les unités de l’armée déployées dans la zone seraient particulièrement sensibles aux demandes des civils qui n’hésitent pas à appeler les FARDC pour intervenir contre les groupes armés.

L’opération Sokola 2 Sud-Kivu sous secteur Shabunda commandé par le colonel Vincent Chomba a ainsi intensifié les opérations militaires en mars et avril 2022 pour mettre fin aux cas de braquages, ce qui a poussé les Raia Mutomboki à fuir dans la forêt. Ils ont été délogés des sites miniers de Kiluma dans le Bamuguba sud, la zone de Nyambembe dans le groupement de Bamuguba nord en chefferie des Bakisi mais aussi Kalabula dans le groupement de Ikama Kasanza en chefferie de Wakabango où ils étaient présents. 

Seuls les Raia Mutomboki Kafanyambiyo et les Raia Mutomboki de Justin Mabala, qui avait succédé à son père tué le 17 décembre 2020 par les FARDC, restent actifs. Ces deux groupes se sont alliés pour faire face aux FARDC qui les traquent dans le groupement Bamuguma Sud. 

Les FARDC ont aussi intensifié des opérations militaires dans le territoire de Kalehe après avoir été renforcées en effectifs militaires dans les trois premiers mois de l’année 2022. Plusieurs groupes sur l’axe ont été soit neutralisés ou contraints à la reddition volontaire et ou forcée. 

C’est le cas des Nyatura Kalume à Lumbishi et Nduhuye à Katasomwa, les CNRD dans les hauts plateaux de Kalehe, Raia Mutomboki Ngubito à Ziralo et Shabani, Chance Muteya dans le groupement de Irhambi Katana et Raia Mutomboki Shaba 2. Les éléments du groupe armé Kirikicho, un des rares groupes armés qui restait actif, a été chassé du groupement de Ziralo  par les FARDC et s’est déplacé dans les forêts de Cinono, Bushema et Lutungulu après une forte offensive des FARDC. 

D’autres facteurs ont également joué dans la baisse du niveau de violence à Shabunda. On peut notamment citer le départ du territoire du groupe Mai-Mai Malaika, qui s’était cristallisé autour de l’exploitation d’or par la société Banro, dans la province voisine du Maniema (exploitation qui a cessé depuis). 

Résurgence du M23 et remobilisation des groupes armés

La résurgence du Mouvement du 23 Mars (M23) en septembre 2021 dans le Rutshuru a déjà changé la situation sécuritaire à Shabunda et Kalehe et elle menace de renverser les gains observés ces dernières années. 

Selon nos informations, le 5 juillet 2022, les groupes armés actifs dans le territoire de Kalehe et une partie de Masisi se sont réunis à leur initiative à Bunyakiri/Iragni (RN3). Il s’agissait des Raia Mutomboki Butachibera, Hamakombo, Mungoro, Kifuafua, Kapasi, Kirikicho, Lance et Shabani. L’objectif était de se fédérer pour soutenir les FARDC contre le M23. Certains leaders politiques de Kalehe auraient apporté leur soutien à cette initiative. Le CNRD et les miliciens Nyatura qui collaborent avec les FDLR ont été exclus de cette initiative de coalition au motif qu’il s’agit de groupes armés étrangers. 

Depuis cette réunion, un pacte de non-agression entre  les FARDC et les groupes armés locaux actifs dans le territoire de Shabunda et Kalehe semble être observé. Certains Raia Mutomboki semblent pouvoir circuler librement dans plusieurs villages sans être inquiétés. Leur remobilisation pourrait provoquer à terme de nouveaux cycles de violences.

Leçons à tirer

Si elle doit être confirmée et détaillée par des études plus approfondies, l’observation d’une baisse de la violence ces dernières années à Kalehe et Shabunda par le KST permet de formuler quelques hypothèses sur les conditions qui pourraient permettre des politiques plus effiaces.

Cette séquence montre tout d’abord qu’il est crucial de s’attaquer aux causes de la mobilisation des groupes armés. Même en l’absence d’un programme de Désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) et malgré que les redditions spontanées de 2019 n’ont pas rencontré de prise en charge adéquate, les différents groupes Raia Mutomboki ont assez rapidement été affaiblis par la quasi-disparition de la cause et justification majeure de leur mobilisation, à savoir la présence d’un groupe rebelle étranger dans leur zone d’influence.

Ensuite, la collaboration entre les communautés locales et les FARDC semblent avoir été une des clés de cette évolution. Les autorités congolaises devraient sans doute faire davantage d’efforts pour améliorer cette relation, en sélectionnant des officiers aptes à développer des relations de confiance avec les populations. Cela passe certainement par des mesures concrètes et structurelles luttant contre la prédation par les militaires dans les zones où ils sont déployés. Il est à ce titre notable que cette évolution positive ait eu lieu sans recours à l’état de siège. Appliquée au Nord-Kivu et de l’Ituri, cette mesure, qui a conféré des pouvoirs exceptionnels à des autorités militaires et policières, n’a a contrario pas permis d’améliorations durables de la sécurité dans ces provinces. 

Il est enfin frappant de constater l’importance que conservent les disputes régionales dans la poursuite du conflit dans l’est de la RDC. Bien que très affaiblis et certainement incapable de menacer le pouvoir de Kigali, les rébellions hutu rwandaises continuent de peser lourdement sur le climat d’insécurité, du fait de la menace qu’ils continuent de constituer aux yeux du gouvernement rwandais ainsi que par la contre-mobilisation de groupes locaux qu’ils génèrent.

A ce titre, et à l’heure où le gouvernement rwandais accuse le gouvernement congolais de collaborer avec les FDLR, il est utile de rappeler que la première année du mandat de Félix Tshisekedi a été marquée par une collaboration très étroite avec le gouvernement rwandais. Kinshasa a autorisé l’armée rwandaise à opérer sur le territoire congolais, en dépit de l’illégalité de la manœuvre et des risques de violation des droits de l’Homme – qui se sont d’ailleurs matérialisés. Malgré ces dérives, ces collaborations ponctuelles ont réussi à affaiblir certaines rébellion hutu rwandaises, ce qui a pu contribuer, à long terme, à faire diminuer la violence à Shabunda et Kalehe.

Du point de vue de la lutte régionale contre les rébellions hostiles à Kigali, l’appui que fournit le Rwanda aux rebelles du M23 selon le groupe d’experts de l’ONU sur la RDC paraît contre-productif. Il a largement contribué à détériorer les relations entre Kinshasa et Kigali. Or la logique de coopération entre les deux pays, qui prévalait au début du mandat de Félix Tshisekedi, semble avoir été beaucoup plus efficace pour affaiblir les rébellions hostiles au gouvernement rwandais.

Par Reagan Miviri avec Hugh Gammon, analystes à Ebuteli

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